Tirmarche, Anne-Sophie
[UCL]
Rigaux, Natalie
[UNamur]
Depuis les années 90, l’intégration du genre dans les programmes « Nord » et « Sud » des ONG s’est imposée comme une condition de financement par les bailleurs de fonds. Les projets d’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire (ECMS) multiplient depuis lors les initiatives de sensibilisation aux inégalités femmes-hommes. Néanmoins, dans un contexte de polarisation entre l’Occident, auto-proclamé champion de l’égalité des sexes, et le reste du monde, présenté comme foncièrement menaçant vis-à-vis des femmes et des minorités sexuelles, le terrain est glissant : comment conscientiser un large public aux inégalités de genre dans le monde sans activer des stéréotypes coloniaux et racistes et alimenter des discours anti-migrant·es ? Ce mémoire analyse le dossier pédagogique Mon corps, mes droits d’Amnesty International et met en lumière les mécanismes au travers desquels, malgré une approche intersectionnelle, celui-ci noircit les uns et blanchit les autres, selon une expression de Delphy, ou, plus exactement, noircit les Autres et blanchit les Uns. Tout d’abord, à travers un processus de racialisation des violences, le dossier réserve aux sévices commis par des hommes occidentaux et non occidentaux un traitement différencié. Ensuite, la posture universelle des dominant·es, associée au privilège de faire silence sur soi-même, se traduit par un focus sur les violences des Autres dotées d’un signe culturel différenciateur, et emblématique de leur supposée altérité radicale, alors même que le rôle joué par la culture des dominant·es est passé sous silence. L’occultation de facteurs macrostructurels vient conforter cette culturalisation des violences. Le dossier pédagogique se caractérise en effet par une dépolitisation du genre, des rapports Nord-Sud et des violences : alors que la maitrise de la fertilité des femmes racialisées donne lieu à des rapports de pouvoir de grande envergure à l’échelle mondiale, ceux-ci sont tus dans l’outil. Le rôle que les violences faites aux femmes assure dans la perpétuation d’un système capitaliste subit la même politique de non-représentation. Ces dépolitisations s’inscrivent dans une dépolitisation plus large : celle de l’intersectionnalité. Le cantonnement des femmes noires à l’énoncé pose la question d’une instrumentalisation de leurs expériences au profit de l’argumentaire des féministes majoritaires et, en masquant les rapports de pouvoir structurels, l’institutionnalisation de l’intersectionnalité neutralise son pouvoir politique.


Référence bibliographique |
Tirmarche, Anne-Sophie. Noircir les Autres, blanchir les Uns : l’intégration du genre en ECMS. Le cas du dossier pédagogique "Mon corps, mes droits" d’Amnesty International. Faculté de philosophie, arts et lettres, Université catholique de Louvain, 2019. Prom. : Rigaux, Natalie. |
Permalien |
http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:20940 |