Segard, Louise
[UCL]
Streitberger, Alexander
[UCL]
Le colonialisme belge au Congo a fait couler beaucoup d’encre depuis le XIXe siècle. Si, pour beaucoup, le Congo-Belge appartient aujourd’hui au passé, l’actualité politique et culturelle démontre que la Belgique ne s’est pourtant pas libérée de ses spectres dans cette période qui se déclare postcoloniale. Il s’agit d’une histoire consciemment négligée, dont ses conséquences perdurent tant en Afrique qu’en Europe, sous les dérives du néocolonialisme et du néolibéralisme. Cette étude envisage les pratiques artistiques suscitant la photographie coloniale de Sammy Baloji (1978), artiste travaillant entre la RDC et la Belgique, et Sven Augustijnen, artiste belge résidant à Bruxelles. Nous constatons que la colonisation est un « objet visuel » depuis les premières photographies capturées par les explorateurs et les anthropologues belges au Congo : la propagande coloniale passe par les images, dans une métropole qui n’a pas d’accès direct aux colonies. D’outil au service de la construction du colonialisme, elle devient celui de sa propre destruction lorsque le Kodak se retourne contre son propriétaire, Léopold II, pour dénoncer l’esclavagisme dont sont victimes les indigènes. Le travail de Sammy Baloji et Sven Augustijnen est envisagé dans une perspective comparative. Pour l’un, artiste africain, l’image d’archive coloniale devient le support d’une réflexion sur les notions d’identité et de mémoire, comme une « trace » de la colonisation. Pour l’autre, le statut de l’archive est étudié dans une critique plus générale concernant les modes de fabrication de l’Histoire. Baloji se penche sur des questions concernant son identité africaine : comment se réapproprier, par l’image, une mémoire enlisée dans une modernité en ruine, dépossédée par la colonisation puis occultée ? Comment déconstruire l’image de l’Autre ? En assemblant des images d’archives dans des collages qui juxtaposent ses propres photographies du paysage congolais, l’artiste crée une nouvelle archive de fiction « correctrice » qui permet de révéler et de conjurer les spectres coloniaux. Pour sa part, Sven Augustijnen, artiste belge, se concentre sur le rôle de la Belgique dans cette histoire coloniale : l’image d’archive est réévaluée dans sa valeur, comme témoignage d’un évènement historique. Il envisage notamment la construction de l’Histoire par le journalisme, qu’il critique à travers la forme photo-essai. Les archival turn respectifs desdits artistes ne constituent pas seulement une critique vidée de possibilités, mais proposent des solutions utopiques pour de nouvelles relations entre l’Afrique et l’Occident. De l’image fixe nous passons à l’image mobile : la critique s’effectue par le biais du documentaire et du documentaire-entretien, dans des œuvres de plus en plus immersives. Au « remixage » de l’image d’archive s’ajoute celui du son, et le témoignage oral enregistré constitue un nouvel apport dans la sauvegarde d’une mémoire oubliée. En outre, la dimension immersive dans laquelle nous plongent les artistes n’est que le reflet de la société de spectacle dans laquelle baigne le colonialisme depuis ses origines. Alors que les dispositifs illusionnistes tels que le diorama et le panorama font fureur au XIXe siècle, ceux-ci sont intégrés dans les expositions universelles, puis les musées coloniaux au service de la propagande. Baloji et Augustijnen s’en inspirent, pour critiquer, avec ironie les dispositifs de monstration des musées ethnographiques et coloniaux. Par ce biais, les artistes révèlent comment ces institutions ont participé à la création de cet Autre, dont les stéréotypes persistent dans notre société. Baloji et Augustijnen critiquent également les traces de la colonisation qui perdurent dans l’espace publique. Grâce au panorama photographique, Baloji réalise des vues totales du Katanga, dans lesquelles il représente la réappropriation de l’urbanisme par les indigènes après le départ des colons. Pour sa part, Augustijnen s’intéresse à l’espace publique belge, et plus particulièrement aux monuments coloniaux qui continuent de commémorer des figures fondatrices de la colonisation. Ainsi, devant cette impasse historique, les artistes belges et africains investissent les silences, les absences et les contradictions de l’histoire coloniale pour mieux nous confronter aux spectres surgissant du passé.


Bibliographic reference |
Segard, Louise. Dévoiler les zones sombres du passé colonial belgo-congolais : critique et réactualisation de la mémoire coloniale dans l'oeuvre de Sammy Baloji et Sven Augustijnen. Faculté de philosophie, arts et lettres, Université catholique de Louvain, 2019. Prom. : Streitberger, Alexander. |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:21689 |