Ducol, Loup
[UCL]
On observe, depuis le début des années 2000, la montée en puissance des enjeux de la « transition environnementale » comme nouveau référentiel de l’action publique (Muller, 2015), ainsi que l’avènement de la « gouvernance par le projet » dans la ville néolibérale (Pinson, 2009). La nature, en tant qu'objet à la fois spatial, vivant et politique, passe pour un incontournable des projets de développement urbain. À Bruxelles, comme dans de nombreuses métropoles, la déminéralisation de l’espace public, sa végétalisation, voire son ensauvagement, sont promues par la plupart des échelons politiques. À tout projet d’urbanisme, sa part de « vert » ; à tout quartier, ses projets de valorisation de la nature urbaine. Cette écologisation de la nature en ville peut se traduire par différents éléments, largement étudiés par ailleurs, comme le développement de l’agriculture urbaine (Duchemin et al., 2010 ; Vankeerberghen & Hermesse, 2020) ; l’écologisation des politiques de gestion des parcs et des espaces verts (Krinsky & Simonet, 2017 ; Ernwein, 2019) ; la mise au travail du non-humain dans le remodelage du végétal urbain (Ernwein & Tollis, 2017) ; ou, encore, les rénovations urbaines centrées sur la végétalisation des espaces privés et publics (Adam & Mestdagh, 2019). Si certains travaux associent la montée en puissance et l’écologisation de la nature urbaine à un désir (Charlot, 2014) ou à une demande sociale (Luginbühl, 2001), d’autres montrent le caractère construit des valeurs et des normes liées à la nature et au paysage en tant que reflet de groupes sociaux dominants (Cosgrove, 1984 ; Mitchel, 1994). Le désir de nature est donc loin d’être homogène, et l’action publique qui lui est dédiée témoigne des représentations et des pratiques des classes dominantes. Certaines recherches documentent également l’exclusion des classes populaires des enjeux attenants aux changements climatiques (Adam & Mestdagh, 2019 ; Comby, 2015 ; Comby & Malier, 2021). Comby (2015) parle notamment d’une : « dépossession écologique des classes populaires » pour caractériser l’appropriation par les classes moyennes et supérieures de ces enjeux en tant que, entre autres, objet de distinction. Concernant, plus spécifiquement, les politiques urbaines, Adam & Mestdagh (2019) montrent comment l’enjeu environnemental au sein de ces grands projets – leur écologisation par la valorisation de la nature urbaine, notamment – participe d’une invisibilisation sociale et politique des classes populaires. La mobilisation du référentiel écologique dans les politiques urbaines paraît donc participer d’une dépossession et d’une invisibilisation des classes populaires dans la production matérielle de la ville. Or, contrairement à la passivité politique que pourrait laisser entendre cette invisibilisation, le concept de centralité populaire (Collectif Rosa Bonheur, 2019) permet de saisir l’importance de l’espace dans la construction de ces groupes sociaux et, réciproquement, l’importance des classes populaires dans la production et le (re)modelage de l’espace. Il convient dès lors d’interroger les liens entre les représentations populaires de l’espace vécu et celles véhiculées par la mobilisation d’une nature écologisée au sein des projets de rénovation urbaine. Quelles visions les classes populaires développent-elles des projets politiques de rénovation de leurs quartiers ? Quels vécus ont-elles de la nature urbaine ? Comment se matérialisent, à une échelle locale, les processus d’invisibilisation des classes populaires documentés à de plus larges échelles ? Cette communication vise donc à interroger la place des classes populaires dans les projets d’écologisation de la politique de la ville à Bruxelles. Pour ce faire, elle se propose d’exposer les données d’une enquête ethnographique en cours dans le quartier central et populaire des Marolles. Le plus ancien quartier de la ville est aussi riche en projets de rénovation et de végétalisation qu’il est pauvre en grands espaces de nature. Quartier central, dense et historiquement populaire où se côtoient touristes, antiquaires et grands ensembles de logements sociaux, les Marolles constituent un cas d’étude privilégié pour mieux saisir la fabrique de la politique environnementale urbaine par le projet. Ce cas d’étude permettra surtout de chercher à comprendre la réception de ces projets par les classes populaires, ainsi que les formes d’invisibilisation qu’ils peuvent produire. Cette communication présentera les données ethnographiques (observations participantes de réunions de quartier et de projets, entretiens avec des responsables institutionnels, analyses documentaires) concernant plusieurs projets de rénovation urbaine. L’objectif étant de confronter ces données à d’autres recueillies parallèlement auprès d’habitant·es des Marolles (observations participantes et entretiens), et cherchant à saisir la place qu’ils et elles donnent à la nature dans leur environnement spatial, ainsi que la manière dont ils et elles perçoivent ces politiques de rénovation. Différents projets sont étudiés. Ils ont en commun la limitation temporelle propre à la gouvernance par le projet, et la mobilisation du référentiel de l’écologisation de la nature urbaine. Ces données ethnographiques seront ainsi mobilisées dans une double perspective analytique de production et de réception de l’écologisation de la politique urbaine de la ville néolibérale, pour questionner la manière dont la mobilisation du référentiel de la nature urbaine peut tendanciellement conduire à l’invisibilisation des classes populaires.


Bibliographic reference |
Ducol, Loup. Les invisibilisé·es de l’écologisation de la ville néolibérale. Quelle place pour les classes populaires dans la production politique de la nature urbaine à Bruxelles ?.Congrès de l’AFSP SG Politique de l’environnement : « L’environnement à l’épreuve de ses publics » (IEP Grenoble, du 02/07/2024 au 04/07/2024). |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/294706 |