Thoraval, Fanch
[UCL]
Les transcriptions de pratiques musicales lointaines qui, à partir de la fin du XVIe siècle, ont parsemé la littérature européenne sont volontiers interprétées comme des tentatives précoces de documenter des altérités musicales (Harrison 1973). Pourtant, qu’elles réfèrent à une étrangeté absolue ou familière — respectivement idéalisée par le Tupi et le Turc —, qu’elles s’inscrivent dans un agenda colonial, missionnaire et/ou diplomatique, on ne peut leur accorder ce statut documentaire sans se heurter à certaines apories : d’abord parce que rendre compte d’une altérité au travers d’une notation historiquement située renvoie à des paradoxes logiques bien connus, déjà énoncés à la période classique ; ensuite, parce que les productions musicales ainsi dénotées sont bien souvent étrangères à l’observation dont elles sont supposées constituer la preuve ; enfin, parce qu’on ne peut, en conséquence, les considérer comme précurseurs des transcriptions effectuées par les collecteurs du début du XXe siècle. Pour autant, attribuer à ces notations un faible degré de verisimilitude ou les suspecter d’insincérité reste peu satisfaisant puisque de telles propositions ne permettent pas d’en expliquer l’existence. Le plus souvent diffusées par des récits de voyage — et parfois reprises par la théorie musicale —, ces notations présentent de nombreuses analogies avec les objets rassemblés dans les cabinets de curiosités : comme eux, elles contribuent à fonder les histoires morales et naturelles qui se multiplient à cette période. On peut donc être tenté d’y voir des « sémiophores », ces artefacts dont l’accumulation vise à « transformer l’utilité en signification » (Pomian 1987). Reconnaître dans ces notations non pas la dénotation de pratiques musicales particulières, mais la transformation d’un outil visant à produire de nouvelles significations pourrait permettre de dépasser les difficultés que pose leur valeur documentaire putative. En s’appuyant sur le modèle proposé par Alfred Gell (1998) qui interprète l’artefact comme un « indice » formant avec ses producteurs, destinataires et prototypes un réseau d’interactions régies par des fonctions d’agent et de patient, cette communication cherchera à décrypter le processus de déplacement/production de signification qui caractérise ces « partitions sémiophores ».


Bibliographic reference |
Thoraval, Fanch. Le problème des partitions sémiophores : agents, patients, indices et prototypes dans la notation de musiques lointaines (XVIe-XVIIe siècles).Que note la notation ? (UCLouvain, du 01/03/2021 au 02/03/2021). |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/268276 |