Justifier la décision en temps de crise. Une analyse discursive du raisonnement pratique des experts et des décideurs politiques belges

En démocratie, le discours des acteurs impliqués dans le débat politique présente une dimension de justification qui permet de légitimer les solutions qu’ils défendent. Fondé à la fois sur un cadrage du problème public (framing) (Stone 2002) et sur des logiques argumentatives ancrées dans une conception spécifique du bien commun (Boltanski & Thévenot 1991), ce travail de justification du discours manifeste le raisonnement pratique des acteurs (Fairclough & Fairclough 2012), c’est-à-dire le processus inférentiel par lequel, partant de leurs croyances ou de leurs désirs, ils produisent un jugement normatif sur les politiques à adopter. La crise sanitaire a conféré à certains acteurs – les experts – et aux raisonnements pratiques charriés dans leurs discours une audibilité et une crédibilité particulières, renforçant par-là l’entropie des débats. La collaboration entre les responsables politiques et les experts peut alors s’étudier sous l’angle de la confrontation ou de la concordance de ces raisonnements pratiques, en évaluant les points de tension et de convergence dessinés par les discours des acteurs. Cette contribution entend éclairer cette question par l’analyse de déclarations des décideurs et des experts belges produites au sein de différents espaces publics (médias sociaux et traditionnels, Parlement) en réaction à deux décisions gouvernementales controversées : (i) la fermeture du secteur de la restauration en octobre 2020 ; (ii) celle du secteur de la culture en décembre 2021. Plus précisément, le travail de justification des acteurs sera étudié au moyen de la discourse network analysis afin de déterminer quels acteurs défendent des positions similaires / antagoniques et quelles propositions cristallisent les tensions / les consensus. La spécificité de cette contribution réside dans l’association de cette méthode avec une analyse linguistique conduite dans une perspective critique. Il s’agira ainsi d’évaluer comment le raisonnement pratique des acteurs s’exprime aussi de manière implicite et comment une reconstruction des schèmes argumentatifs (Amossy 2012) présents dans les discours permet de raffiner l’identification des coalitions et des tensions discursives observées en première analyse.