Delmotte, Florence
[USL-B]
« Si l’on cherche à vérifier la conformité de la notion d’habitus social avec la réalité, on ne peut guère trouver de preuve plus claire que la constance avec laquelle les différences d’habitus national entre les États européens entravent la fondation d’une union politique plus étroite entre eux ». Si la proposition d’Elias (1991 [1987] : 274) semble, trente-cinq ans plus tard, rester pertinente, dans la traduction anglaise elle est tout aussi pertinente, et peut-être plus originale : « [I]f we are looking for examples of the reality-congruence of the concept of habitus, we could hardly find a more cogent example than the persistent way in which the national habitus of the European nation states impedes their closer political union (Elias, 2010 [1987]: 188). Elias s’est certes intéressé aux « différences d’habitus individuel » et aux singularités des habitus nationaux au pluriel, en particulier en Europe (Les Allemands [1990]) ; ceux-ci doivent selon lui être étudiés sous l’angle des processus de longue durée qui sont la marque de sa sociologie historique. Mais il s’est aussi intéressé à la prégnance, en soi, d’un type d’habitus pour ainsi dire partagé par les Européens, voire inventé par eux : à l’habitus national au singulier ou en général, tel que mentionné dans la traduction anglaise, moins fidèle à l’original en allemand mais assez fidèle à l’esprit. Dans d’autres passages, Elias suggère en effet que c’est une forme d’attachement séculaire à la nation, toujours dominant, et la reproduction pour partie inconsciente des habitudes qui la caractérisent qui empêchent ou retardent l’union politique des pays européens – autant que les différences historiques, sociales, culturelles et politiques entre les nations européennes. En ce sens, la notion d’habitus national paraît proche de celle de « nationalisme banal » dont parle le psychologie et social scientist Michael Billig (1995) – en référence à la « banalité du mal » selon Hannah Arendt – pour désigner des habitudes omniprésentes dans la vie quotidienne qui permettent aux nations occidentales de se reproduire. D’où l’importance du « flagging », à l’accentuation plutôt qu’à l’atténuation duquel on assiste aujourd’hui. Pour Billig, le nationalisme est une idéologie hégémonique. Il n’est pas épisodique et il n’appartient pas au passé. Il est la condition endémique du maintien des nations et pose la division du monde en nations comme allant de soi tout en rappelant aux individus dès leur plus jeune âge qu’ils doivent chérir la leur. Cette contribution propose d’analyser comment les textes d’Elias consacrés à ces questions, complétés par la lecture de M. Billig, permettent d’envisager les « résistances » à « l’Europe », entendue comme un projet d’intégration post-nationale : en tenant à distance à la fois le paradigme rationaliste et l’obsession récente pour le(s) « sentiment(s) d’appartenance ».


Bibliographic reference |
Delmotte, Florence. Habitus national, nationalisme (banal) et "résistances à l’Europe".Nations, nationalismes et mondialisations : adaptations, mutations et permanences (Bordeaux, du 08/06/2022 au 10/06/2022). |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.3/262751 |