Delmotte, Florence
[USL-B]
Associer Norbert Elias, sa sociologie historique, ses travaux, sa pensée, ce que l’on sait de lui, et la science politique, ne va pas de soi. Elias n’utilise pas tellement le mot « politique ». Il s’est élevé contre la spécialisation à outrance des sciences sociales à partir de leurs objets, en insistant sur le caractère intriqué, dans la réalité, des différents aspects de la vie sociale et de la vie humaine. De son côté, la science politique au sens actuel est une discipline jeune ; elle a eu longtemps, elle a encore, l’obsession de son indépendance, de sa singularité, de son identité. Assez logiquement, elle reste aussi attachée à l’étude des institutions et des modes d’action, d’organisation et de pensée proprement politiques. Ne voir les choses que sous cet angle témoignerait cependant d’une vision étriquée et restrictive. Cela ne permet pas non plus de comprendre tout à fait pourquoi, en France et ailleurs, certains, de plus en plus nombreux, parmi les politistes, celles et ceux qui étudient la, le ou les politique(s), sont allés chercher de l’aide et de l’inspiration dans les travaux de ce sociologue généraliste et touche-à-tout, qu’on peut voir à la fois comme le dernier représentant des « classiques » – Elias n’aimait pas du tout être considéré comme tel, quand d’autres l’auraient pris pour une forme d’hommage – et un précurseur à bien des égards. Ce n’est pas le propos de cet article de refaire l’histoire de la discipline. Plutôt qu’une enquête, c’est un point de vue situé qui est proposé sur ce qu’a pu apporter, ce qu’apporte la sociologie d’Elias à ceux qui étudient le politique dans ce champ institutionnel et académique, ce qu’elle pourrait continuer d’apporter encore, et ce qu’elle ne peut peut-être pas apporter. Quelle que soit sa progression, l’influence d’Elias n’est jamais devenue hégémonique ni même évidente pour tout le monde, et l’idée qu’il est quelque peu paradoxal d’associer Elias et la science politique n’est pas totalement infondée. À certains égards, on n’est pas loin du « point d’Archimède » cher à Weber, la manière de penser d’Elias se trouvant suffisamment éloignée de la science politique « mainstream » pour soulever ses idées les mieux établies. Reste que l’audience des thèses d’Elias est allée croissant ces trente à quarante dernières années. Cet article propose de contribuer à comprendre pourquoi. L'article tente aussi de pointer ce qui rend parfois difficile la mobilisation directe des travaux de cet auteur, au-delà d’une source d’inspiration originale ou d’une affinité de geste.
Bibliographic reference |
Delmotte, Florence. Norbert Elias et la science politique: un mariage un peu contre-nature mais heureux. In: Cités, Vol. 88, no.4, p. 73-88 (2021) |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.3/257703 |