Colla, Anne-France
[UCL]
(fre)
Le principe de protection de la confiance légitime (PPCL) a pour fonction de protéger les individus qui se sont basés sur les normes existantes pour organiser leur vie en empêchant, à certaines conditions, les autorités compétentes de modifier les normes juridiques existantes sans adopter de régime transitoire. Autrement dit, ce principe est susceptible d’imposer aux autorités d’adopter un régime transitoire en vue de limiter l’impact de l’adoption d’une norme nouvelle sur la situation des personnes confiantes. L’ambition du PPCL ne va pas au-delà ; ce principe n’a pas vocation à empêcher l’adoption de lois matériellement contestables. La protection de la confiance légitime des individus se justifie par le besoin de protéger leur autonomie, qui a deux facettes : le besoin de l’individu de pouvoir opérer librement ses choix et son besoin de se projeter dans le futur. Dans ma thèse, j’étudie le PPCL tel qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice. Elle est un acteur incontournable de la mise en œuvre de ce principe au vu, d’une part, des nombreuses décisions qu’elle a rendues sur ce principe et, d’autre part, au vu de la capacité de ses décisions à inspirer les juridictions des États-membres. Je me positionne toutefois de manière critique par rapport à la jurisprudence de la Cour, considérant, de manière générale, que son raisonnement sur le PPCL n’est pas assez abouti. Ce faisant, je tente d’esquisser une théorie générale du principe qui pallie les travers de la jurisprudence. Ma thèse se structure autour de la progression dans le temps inhérente au principe de protection de la confiance légitime (PPCL) : je passe de l’analyse ex ante à l’analyse ex post. L’analyse ex ante s’intéresse au déploiement de la confiance légitime, avant tout changement normatif. Elle vise à identifier l’existence et la force de la confiance légitime de l’individu ; l’analyse ex post la complète avec les informations qui surviennent à partir du changement normatif. Elle vise à identifier l’atteinte à la confiance légitime de l’individu et le besoin de protection de cette confiance légitime. Ma thèse comprend trois parties. La première contient le cadre théorique de la thèse tandis que les deux suivantes abordent respectivement l’analyse ex ante et l’analyse ex post. Dans la première partie relative au cadre théorique, je caractérise, d’abord, les sources de ce principe : d’une part, les normes qui se succèdent et qui fondent puis perturbent la confiance légitime des individus (chapitre 1) et, d’autre part, le PPCL de la Cour de justice lui-même (chapitre 2). Je me tourne ensuite vers la confiance légitime et j’approche, de manière théorique, la notion de confiance (chapitre 3), puis celle de légitimité de la confiance (chapitre 4). Enfin, outre la question de la distinction entre l’analyse ex ante et l’analyse ex post (chapitre 6), j’aborde l’opportunité de la réalisation d’une balance des intérêts dans le cadre de la mise en œuvre du PPCL (chapitre 5). Dans le chapitre relatif à la notion de confiance (P1, chapitre 3), je soutiens que le mot « confiance » dans l’appellation « confiance légitime » est important, même s’il n’apparaît pas dans toutes les traductions de ce principe. Je me base essentiellement, dans mes développements, sur la théorie de RAZ de l’autorité légitime et sur les développements de LUHMANN sur la confiance. Le mot « confiance » renvoie à l’idée selon laquelle, pour vivre notre vie, nous avons besoin de nous baser sur des données, de placer notre confiance dans une certaine stabilité du monde et notamment des normes juridiques. On ne pourrait chaque matin se lever et se demander quelles sont les normes juridiques du jour. Chaque matin, on postule, sans y penser, que le droit en vigueur la veille est toujours en vigueur. Il s’agit d’un acte de confiance. Sur la notion de légitimité de la confiance (P1, chapitre 4), je soutiens qu’il est important d’opérer une prise de distance par rapport à des conceptions idéales de la légitimité au sens philosophique du terme. Je considère qu’il convient de prendre en considération la notion de légitimité telle qu’elle est entendue au sein même de l’ordre juridique en question. Cela conduit à un positionnement détaché de ma part. Cela a également notamment pour conséquence que l’adoption d’une nouvelle norme en vue de corriger une norme « injuste » au sens philosophique est susceptible malgré tout de requérir la protection de la confiance légitime que les individus ont pu placer dans cette norme « injuste ». La deuxième partie porte sur l’analyse ex ante de la confiance légitime, avant tout changement normatif. Elle s’intéresse à l’existence et à la force de la confiance légitime. Elle comprend deux chapitres. Le premier aborde la notion de confiance légitime telle qu’elle découle de la jurisprudence de la Cour de justice, et se divise entre la notion de confiance (section 1) et la notion de légitimité de la confiance (section 2). Le deuxième s’intéresse à l’évaluation de la confiance légitime et se divise entre les paramètres de variation de la force de la confiance légitime (section 1) et l’évolution dans le temps de la force de la confiance légitime (section 2). Sur la notion de confiance (P2, chapitre 1, section 1), j’aborde d’abord l’objet de la confiance. La jurisprudence indique qu’elle porte sur la stabilité d’une norme juridique. On peut distinguer la confiance dans la continuation de l’application d’une norme de la confiance dans l’application future d’une norme. Sur le plan des principes, ces deux types de confiance sont relativement proches ; en revanche, au niveau probatoire, le premier de ces deux types est plus facile à identifier. J’aborde ensuite la question de l’identification des individus confiants. Leur identification permet, le cas échéant, de délimiter le champ d’application personnel du régime transitoire. Je soutiens que le critère de l’existence d’un simple lien avec la norme, complété par quelques correctifs, devrait être adopté en vue de réduire le biais sous-inclusif. Ce biais justifie également, lorsque c’est possible, d’adopter un régime transitoire permettant d’inclure des individus confiants dont la confiance n’est pas aisée à identifier. J’aborde enfin, sur la notion de confiance, les normes susceptibles d’inspirer la confiance. La jurisprudence enseigne que presque toutes les normes sont susceptibles d’inspirer la confiance de l’individu. En revanche, la jurisprudence semble exiger que l’autorité ait, outre l’existence de la norme base de confiance, formulé des assurances précises de stabilité de cette norme en faveur de l’individu. Je soutiens toutefois qu’un examen attentif de sa jurisprudence révèle que de telles assurances précises spécifiques ne sont nécessaires que lorsque la norme qui constitue la base de la confiance de l’individu ne dispose pas d’une force normative suffisante à elle seule. Sur la notion de légitimité de la confiance (P2, chapitre 1, section 2), j’identifie dans la jurisprudence que pour qu’une confiance soit légitime, il faut que le changement normatif n’ait pas pu être prévu par l’individu. C’est le critère de l’imprévisibilité du changement. Mais la Cour semble exiger également que la base de confiance soit régulière pour que la confiance puisse être considérée légitime. Je critique dans ma thèse ce positionnement de la Cour et je soutiens qu’il faudrait s’en tenir au critère de l’imprévisibilité du changement normatif. J’estime que s’il est imprévisible qu’une norme irrégulière soit rectifiée, cela signifie que l’irrégularité est inconnue de la personne. Tant que l’irrégularité pouvait raisonnablement avoir été ignorée par la personne confiante, sa confiance peut être considérée raisonnable et donc légitime. Dans la section relative à l’identification de la force de la confiance légitime (P2, chapitre 2, section 1), j’énumère, je classifie et j’explique différents paramètres qui font varier la force de la confiance légitime. Ainsi, une norme incitative ou protectrice des individus générera une confiance légitime de force plus élevée qu’une norme que l’individu utilise dans un but de spéculation, méconnaissant ce faisant l’objectif de la norme. Dans la section relative à l’évolution dans le temps de la confiance légitime (P2, chapitre 2, section 2), je soutiens que, pour adéquatement concevoir l’état de confiance légitime d’une personne donnée à l’égard d’une norme donnée, il convient de le diviser en petites confiances légitimes qui naissent à tout moment et se succèdent les unes aux autres sans se remplacer. Le risque, sinon, est de tomber dans ce que j’appelle le « piège de la volatilisation de la confiance légitime » qui consiste dans ce qu’une confiance légitime, une fois qu’elle a pris fin du fait de l’annonce du changement normatif à venir (par exemple), semble purement et simplement disparaître et ne serait donc plus digne de protection juridique. Je propose une représentation schématique à partir de laquelle j’explique que les petites confiances légitimes successives du passé sont pertinentes pour évaluer la confiance légitime résiduelle d’aujourd’hui. La troisième partie porte sur l’analyse ex post de la confiance légitime. Elle s’intéresse aux informations disponibles après le changement normatif. Elle se divise en trois chapitres. Le premier vise à identifier l’ampleur de l’atteinte porté, par le changement normatif, à la confiance légitime de l’individu. Le deuxième aborde la question des intérêts concurrents à la protection de la confiance légitime. Le troisième interroge ce à quoi conduit l’existence d’une confiance légitime digne de protection juridique. La question de l’atteinte à la confiance légitime (P3, chapitre 1) est plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. Il ne suffit pas de comparer ce qu’offrait la norme initiale et ce qu’offre la norme nouvelle. Il convient aussi, d’abord, de comparer ce différentiel à celui qui pouvait être anticipé par l’individu ex ante et de procéder, s’ils ne correspondent pas, à une nouvelle évaluation de la force de la confiance légitime en fonction du changement normatif tel qu’il s’est réellement produit (section 2). Il convient, également, de tenir compte de la possibilité, pour les individus, de se soustraire à l’application de la norme (section 3, §2, A) et, enfin, de tenir compte de l’impact du changement normatif sur la société en général. Il sera en effet porté une atteinte plus importante à la confiance légitime de l’individu si celui-ci est fortement désavantagé par l’adoption de la norme nouvelle alors que son bénéfice est largement réparti sur une grande partie de la population (section 3, §2, B). Quant aux intérêts concurrents (P3, chapitre 2), je m’intéresse, d’abord, à l’intérêt que sert le changement normatif (section 1) et je formule quelques remarques. Je soutiens notamment que ces intérêts concurrents sont déjà pris en considération, au moins partiellement, ex ante, lorsqu’ils étaient connus avant le changement normatif. En effet, si l’individu sait que la norme pourrait être modifiée dans un objectif donné, cela fait baisser la force de sa confiance légitime. En revanche, quand l’individu pouvait raisonnablement ignorer ex ante le motif ayant conduit au changement normatif (par exemple, l’irrégularité de la norme initiale), cet intérêt concurrent est nouveau ex post et mérite d’être particulièrement pris en considération. Quant à l’intérêt relatif au libre exercice de la démocratie (section 2), je soutiens que le PPCL et ce principe participent d’une préoccupation commune et ne sont donc pas aussi opposés que ce qui pourrait paraître au premier abord. Enfin, s’agissant de ce que requiert l’existence d’une confiance légitime digne de protection juridique (P3, chapitre 3), je soutiens que si la Cour de justice semble n’exclure, en présence d’une confiance légitime, que la rétroactivité de la norme nouvelle, il ressort de sa jurisprudence que l’adoption d’un régime transitoire peut s’avérer utile, voire nécessaire. Je soutiens qu’il serait bon que la Cour formule plus clairement les conséquences de l’existence d’une confiance légitime. J’expose également les différentes options transitoires et j’analyse et relativise les arguments avancés pour refuser l’édiction d’un régime transitoire.


Bibliographic reference |
Colla, Anne-France. Vers une théorie générale du principe de protection de la confiance légitime de la Cour de justice de l'Union européenne : élucidation du raisonnement sous-jacent au principe autour de sa progression dans le temps : de l'analyse ex ante à l'analyse ex post. Prom. : Verdussen, Marc |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/242167 |