Stevens, Bernard
[UCL]
"La réception de Heidegger par l’Ecole de Kyoto, un surprenant essai de Bernard Stevens". Nicolas Weill. "Le Monde". 25 septembre 2020. Heidegger et l’Ecole de Kyoto, de Bernard Stevens, chercheur à l’Université catholique de Louvain (Belgique) et auteur de nombreux ouvrages sur la philosophie et la politique japonaises, doit être salué non seulement parce qu’il défriche avec clarté des territoires intellectuels difficiles pour le profane, mais aussi parce qu’il permet de réviser nos polarités trop familières, comme celle qui oppose l’Orient à l’Occident. Même si l’on sait depuis longtemps que la représentation du premier est, la plupart du temps, une invention du second, nos ré- flexes nous conduisent souvent à considérer toute pensée asiatique comme l’« autre » de la philosophie occidentale, voire son ombre... L’un des moindres apports de cet essai n’est donc pas de nous aider à corriger ce point de vue paresseux ; ne serait-ce qu’en mettant en évidence les circulations incessantes et réciproques qui ont eu cours d’un bout du monde à l’autre, à travers des frontières bien moins hermétiques qu’on ne l’imagine. Pour Bernard Stevens, il est par exemple faux, comme l’avait écrit Edmund Husserl en 1935 – et comme Jacques Derrida a reproché à ce dernier de l’avoir fait dans "De l’esprit. Heidegger et la question" (Galilée, 1987)–, d’opposer une « humanité européenne », supposée seule porteuse d’«idée absolue », à la Chine ou aux « Indes»,réduites à de simples «types anthropologiques ». Pour le meilleur et pour le pire, montre l’auteur, le cas du Japon contredit ce préjugé philosophique. Tout imprégné de bouddhisme, ce pays s’est en effet ouvert depuis le XIX e siècle à la pensée de l’Occident. L’itinéraire d’un des plus grands philosophes japonais, Kitaro Nishida (1870-1945), fondateur de la brillante Ecole de Kyoto, l’illustre, et plus encore celui de certains de ses disciples, comme Keiji Nishitani (1900- 1990). Bernard Stevens estime néanmoins que l’idéalisme allemand et l’hégélianisme, davantage que les courants ultérieurs, portent la vraie responsabilité des dérives nationalistes que connaîtra le Japon au XIXe siècle.La conception du néant L’auteur concentre son ouvrage sur la réception, par cette école, de la phénoménologie et surtout de la philosophie de Martin Heideg- ger, dont le compagnonnage avec le régime national-socialiste ne dérangea guère la plupart de ses admirateurs de Kyoto. Dans la première partie du XXe siècle, les intellectuels japonais avaient du reste développé une pensée colo- niale et impérialiste. Mais l’atti- rance, dès les années 1920,de phi- losophes nippons pour la pensée de l’auteur d’ Etre et temps (1927) n’a que peu à voir avecla politique. Que le point de départ du cheminement heideggérien soit non le sujet connaissant ou la(...) Même si le corpus sur lequel Bernard Stevens fonde sa lecture du philosophe allemand se révèle un peu classique (nulle mention n’y est faite des Cahiers noirs qui bouleversent, depuis 2013, les études heideggériennes), cet ouvrage demeure précieux. Il nous introduit à ces philosophes importants et méconnus du Soleil-Levant, passionnants non parce qu’ils sont « autres », mais parce qu’ils sont nôtres. "Heidegger et l’école de Kyôto. Soleil levant sur forêt noire", de Bernard Stevens, Cerf, 356 p., 25 €, numérique 16€.


Bibliographic reference |
Stevens, Bernard. Heidegger et l'école de Kyôto (Cerf /. Les éditions du Cerf : Paris (2020) (ISBN:978-2-204-13847-5) 351 pages |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/240381 |