El Berhoumi, Mathias
[USL-B]
État unitaire unilingue lors de sa fondation en 1830, la Belgique est devenue, au terme d’une transformation progressive, un État fédéral plurilingue. Cette mutation l’a amenée à se familiariser avec le phénomène des discontinuités territoriales, mais selon une perspective très particulière. Quand on y évoque les discontinuités territoriales, on ne renvoie pas à la situation de portions du territoire non contiguës. Seule la modeste commune de Baerle-Duc se trouve partiellement enclavée en territoire néerlandais . Il n’est pas davantage question d’une séparation entre deux parties du territoire par une mer. Depuis la décolonisation, la Belgique ne possède plus de territoires ultra-marins . Par ailleurs, dans son presque bicentenaire, la Belgique a connu peu d’évolutions de son territoire, si ce n’est dans sa première décennie, où elle eut à céder le Luxembourg et une partie de la Province du Limbourg, et après la Première Guerre mondiale, où elle s’est adjointe les communes qui forment aujourd’hui sa région de langue allemande. Les discontinuités territoriales à la belge renvoient aux séparations établies à l’intérieur des frontières de l’État pour réguler le clivage entre francophones et flamands. Afin de garantir l’intégrité de la langue et de la culture néerlandaise, un principe de territorialité a peu à peu été consacré dans le droit public belge. Il consiste à moduler la langue dans laquelle s’expriment les autorités, notamment en matière administrative, judiciaire et scolaire, selon les régions linguistiques dans lesquelles elles sont localisées. L’article 4 de la Constitution énumère ainsi quatre régions linguistiques. Trois sont unilingues. Il s’agit de la région de langue française, la région de langue néerlandaise et la région de langue allemande. Le territoire accueillant la capitale du Royaume constitue une quatrième région linguistique caractérisée par son bilinguisme français/néerlandais. Ces différentes régions sont séparées par une frontière linguistique. Le tracé de celle-ci a généré des discontinuités, d’abord d’ordre historique, des communes ayant basculé d’un régime linguistique à un autre, ensuite d’ordre territorial et politique, et ce à trois niveaux. Primo, une commune située dans la région de langue néerlandaise est enclavée dans la région de langue française, et vice-versa. Secundo, des communes jouxtant la frontière linguistique sont habitées par une proportion plus ou moins importante, voire majoritaire, de locuteurs de la langue d’une autre région linguistique. Tertio, la Région de Bruxelles-Capitale est entourée de communes relevant de la région de langue néerlandaise, alors même qu’elle est très majoritairement peuplée de francophones. Pour comprendre pleinement comment la frontière linguistique a généré ces discontinuités, il est incontournable d’en faire la genèse et de présenter les principes juridiques qui en découlent. Afin d’atténuer la rupture que ces discontinuités peuvent créer, celles-ci sont compensées par plusieurs techniques de droit public, parfois subtiles, souvent controversées. Produits de compromis complexes, ces techniques donnent régulièrement lieu à des controverses juridico-politiques. Celles-ci portent spécialement sur les « facilités linguistiques » consistant en un certain nombre de mécanismes dérogatoires au principe d’homogénéité linguistique, ainsi que sur le statut de Bruxelles. Dans le contexte d’un État qui ne se caractérise pas par la stabilité de ses institutions et qui se trouve constamment en proie aux doutes existentiels, ces discontinuités et continuités sont au cœur du contentieux entre francophones et flamands.


Bibliographic reference |
El Berhoumi, Mathias. La Belgique et sa frontière linguistique : entre continuités et discontinuités territoriales. In: N. Kada, Les discontinuités territoriales et le droit public, Dalloz : Paris 2020 |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.3/231161 |