Introduction : Les formes romantiques de la vie

La réception du romantisme a longtemps été marquée par l’accent mis sur sa dimension intransitive. Pour tout un courant critique, le début du XIXe siècle introduisait une rupture franche dans l’histoire de la littérature, établissant l’œuvre comme totalité autotélique et détachée du monde. Ce type de lecture a eu pour effet de marginaliser une tension commune aux diverses actualisations du romantisme dans les lettres, les arts et la pensée des différents espaces et temporalités où il s’est manifesté : la volonté de poétiser la vie, dans le brouillage des frontières entre le domaine de la création artistique et ce qui lui est extérieur. Excédant les seuls Beaux-Arts, le projet romantique part de la vie, s’y ancre à travers la recherche de modèles organiques, l’attention aux formes de l’existence les plus prosaïques, à l’ordre du corps, le corps au cœur de la création de l’œuvre comme de sa réception, mais aussi le corps de la nature, sa matière. Le romantisme entraîne dans son mouvement tous les champs d’activité humaine, les sciences, l’éducation morale, la société, l’État, ou encore la religion. En retour, les formes artistiques qu’il déploie ont pour vocation de colorer le monde d’une nuance esthétique : elles ne peuvent se penser sans prendre en considération leur performativité, leur capacité à « trans-former » notre expérience du monde par leur singularité même.