Vers une "science totale" : l’encyclopédistique vivante de Novalis

L'article propose une nouvelle lecture de l'idée novalissienne d'encyclopédie à partir d'une étude du projet dit du « Brouillon général » (1798/99). La plupart des spécialistes considèrent que l’encyclopédie, chez Novalis, se voudrait faite sous les auspices de l’illogisme, de la fragmentation et du chaos ; la seule cohérence recherchée (inédite) dans l'ensemble de notes disparates qui composent le « Brouillon général » et qui n'est ni un ensemble complet ni un ensemble hiérarchisé, serait celle de la variance ou du devenir même, à l’image de l’instabilité de la matière comme de la pensée : une « chaologie » dans l’esprit de la combinatoire leibnizienne, art des variations, permutations et transformations infinies. A l'encontre de cette interprétation encore dominante, l'article revient sur l'appellation spécifique dont l'entreprise encyclopédique de Novalis, de nature essentiellement critique, fait l'objet : celle d'"encyclopédistique", selon le terme que le poète-philosophe du premier romantisme allemand forge pour désigner une méthode qui n'est pas seulement une façon d'organiser les savoirs mais une façon de les achever en découvrant les choses que l'on ignore. Sans remettre en question le rôle joué par l’analyse combinatoire dans le fonctionnement complexe de l’encyclopédistique novalissienne, un aspect qui a le plus suscité de commentaires, nous nous proposons ici de projeter un éclairage différent sur l’entreprise encyclopédiste de Novalis, qui en renouvelle l’interprétation grâce à la notion de "Wechselwirkung" (l'action réciproque opposée à l'unilatéralité) prise dans sa définition philosophique (transcendantale), dans la lignée de Kant, Fichte, Schiller. Notre hypothèse est que "Le brouillon général" se veut le lieu d’une pluralisation des savoirs grosse de tensions dans un horizon de recomposition et d’harmonie, l’unité et la totalité étant, pour Novalis, au principe et à la fin de toute connaissance ; et que c’est bien dans le sillage de la philosophie critique que Novalis pose cette recomposition – l’articulation des sphères opposées de la nature et de l’esprit – en termes dynamiques de médiation.