Lempire, Jean
[UCL]
En écho au thème du séminaire 2016-2017 du CRHS « Vrai ou faux ? Les approches de la réalité », on s’est centré sur différentes approches de la réalité du monde dans la pensée grecque. À partir de l’opinion de Platon (Phédon, Timée) sur la position et la forme de la Terre, on a d’abord parcouru les thèses cosmologiques des penseurs Présocratiques (Thalès, Anaximandre, Anaximène, Anaxagore, Démocrite, Parménide, Empédocle, les Pythagoriciens) dont une partie ont influencé Platon. En particulier, le pythagoricien Philolaos de Tarente présente un système cosmologique original et cohérent. Plus encore que Platon, Aristote (Du Ciel) et, après lui, Ptolémée (Almageste) ont fixé les principes et les dogmes cosmologiques qui vont régir les recherches des astronomes ultérieurs : mouvement circulaire éternel des corps célestes, sphéricité, position centrale et immobilité de la Terre, petitesse de la Terre par rapport à la grandeur des astres, etc. Les arguments de la sphéricité de la Terre – opinion remontant déjà au Ve siècle – ont été repris à Aristote (observation des éclipses de Lune, et du changement du paysage stellaire) et à Cléomède (observation des bateaux à l’horizon). Par le biais des travaux d’Eratosthène et de Posidonius sur le méridien terrestre, l’on a également mis en perspective leur approche pratique de la sphéricité de la Terre.
Si le système sphérique du monde était bien établi dès l’époque hellénistique, l’idée d’une Terre non sphérique persista malgré tout dans l’Antiquité. C’est ainsi qu’en s’appuyant sur une lecture littérale de la Bible, quelques auteurs chrétiens ont fait revivre l’idée d’une Terre plate. On a analysé en particulier la représentation du monde du moine byzantin Cosmas Indicopleustès (VIe siècle), pour qui l’agencement du monde est à l’image des textes bibliques (Tabernacle de Moïse) : le monde a été créé en forme de coffre (un parallélipipède rectangle surmonté d’une voûte semi-cylindrique) ; au fond du coffre, la terre est plate et rectangulaire. La vision du monde de Cosmas est à rapprocher des thèses de Jean Chrysostome (IVe s.), ou de Théodoret de Cyr (Ve s.), qui, d’inspiration antiochienne également, rejetèrent les concepts de la philosophie naturelle. Dans les premiers siècles de l’Eglise, il existait en réalité plusieurs approches du monde, et plusieurs méthodes pour interpréter la Bible : une approche alexandrine (Jean Philopon, Jean Damascène), qui développe une méthode allégorique et intègre un univers sphérique ; une approche antiochienne (Chrysostome, Théodoret, Cosmas), fondée sur une méthode littérale, et conçoit un univers voûté ; les Pères Cappadociens (Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse) ont enfin une approche plus nuancée, basée sur une méthode médiane (allégorico-littérale) et un univers sphérique. La conception d’un univers voûté immobile (vision antiochienne du monde) connaîtra une longue survivance dans le monde byzantin (et slave) à partir du XIe siècle, comme en témoignent l’élaboration de chaînes de commentaires sur le texte de la Genèse et l’exposé d’astronomie de Pierre le philosophe (milieu du XIIe siècle) – celui-ci retient la forme cubique ou voûtée du ciel mais ne s’oppose pas à la vision sphérique du cosmos (mouvement des astres) : il adapte donc la théorie grecque classique au contexte biblique. Des manuscrits byzantins des XIVe et XVe siècles présentent enfin une collection importante de textes cosmologiques variés où l’on trouve, à côté du modèle sphérique traditionnel (Aristote, Ptolémée), la vision antiochienne du monde, un univers de forme oblongue et d’autres modèles très particuliers.


Bibliographic reference |
Lempire, Jean. Plate, sphérique, ou ... ? La forme de la Terre et de l'univers dans la tradition grecque.Séminaire du Centre de recherches en histoire des sciences de l'Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, 16/12/2016). |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/179579 |