Bokiau, Baudouin
[UCL]
Bartolomeo Cristofori a fait l’objet de nombreuses études concernant son gravicembalo col piano e forte, grâce auquel il devint un pionnier dans l’histoire des instruments à clavier. Pourtant, la littérature francophone récente semble s’être désintéressée du sujet, alors que de nouvelles sources permettent d’établir des scénarios innovants concernant l’invention du facteur padouan. Il n’est pas possible d’énumérer avec certitude le nombre de pianos que Cristofori a produits durant sa carrière, mais il existe des preuves irréfutables qui démontrent au travers de quatre instruments le souci constant de perfectionnement de l’inventeur. Le premier est décrit dans un article enrichi d’un schéma et signé par l’humaniste italien Scipione Maffei. Les trois suivants sont des instruments qui ont traversé le temps en subissant plus ou moins d’altérations et de « réparations » typiques du XIXe siècle. Alors que la conception des trois exemplaires physiques qui nous sont parvenus ne varie pas fondamentalement, le premier s’en démarque fortement. L’objet de cet article est précisément l’étude des premiers modèles de mécaniques tels que décrits dans l’article de Maffei, qui date de 1711. La première mention connue du nouvel instrument à clavier de Cristofori se trouve dans un inventaire de la collection des Medici de 1700. La description qui accompagne l’entrée de l’arpicimbalo fait état d’un instrument qui produit les nuances piano et forte et muni de marteaux. Grâce aux éléments biographiques et aux paiements perçus par Cristofori, on peut déduire qu’il avait entamé leur fabrication bien avant le changement de siècle. En 1709, lorsque Maffei rencontre Cristofori pour discuter de son invention, celui-ci aurait déjà fabriqué trois instruments pour lesquels l’homme de lettres ne note pas de différences. L’article publié deux ans après cette entrevue est souvent cité pour décrire les inventions de Cristofori, mais il est impossible d’en trouver des traductions en langue française. Nous proposons de combler cette lacune et d’analyser dans le détail les intentions de l’inventeur : Cristofori considérait-il son instrument comme un clavecin amélioré ou cherchait-il à construire un instrument innovant ? L’histoire de la rédaction de cet article, que nous pouvons déduire des notes et de la correspondance de Maffei, montre que l’humaniste italien n’en est probablement pas l’unique auteur. Il est vraisemblable que Cristofori lui-même ait rédigé une partie de la précieuse description de l’instrument. Cette hypothèse renforce la valeur historique du document, dès lors qu’il s’agirait en partie d’une source de première main dans laquelle Cristofori aurait pu expliquer ses intentions. Par ailleurs, il apparait que Maffei a changé l’objet de son article, initialement consacré aux instruments de musique en général, pour se concentrer presque exclusivement sur le nouveau gravicembalo col piano e forte. La comparaison du premier type de mécanique et des modèles suivants permet de montrer les particularités de l’invention exposée dans le journal littéraire et de mettre en évidence les éléments que Cristofori a abandonnés au fil des années. Pour conclure, notre étude examinera le célèbre portrait (anciennement au Staatliches Institut für Musikforschung à Berlin) dans lequel Cristofori tient en main le plan d’une mécanique. Une analyse de l’instrument illustré permet de démontrer qu’il s’agit en réalité d’un faux du XIXe siècle et que la mécanique dépeinte consiste en un mélange anachronique entre une mécanique contemporaine et une conception tardive de Cristofori.


Bibliographic reference |
Bokiau, Baudouin. Les premiers pianoforte de Bartolomeo Cristofori. In: Baudouin Bokiau; Pierre Albert Castanet; David Klavins; Ziad Kreidy; Alain Louvier; Dominique Merlet; Tristan Murail; Stephen Paulello; Danièle Pistone; Stewart Pollens; Sandra Rosenblum; Alain Roudier; David Rubenstein; Frédéric Saffar; Udo Schmidt-Steingraeber; Laure Schnapper; Tilman Skowroneck; Wayne Stuart; Elisa Teglia;, The ends of the piano. Le piano dans tous ses états, Beauchesne : Paris 2016 |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/153881 |