de Brouwer, Jérôme
[UCL]
L'abolition légale de la peine de mort n'est intervenue en Belgique qu'en 1996, mettant fin à une abolition de fait longue de plus d'un siècle : depuis 1863, sous réserve d'une seule exception, les condamnations capitales pour crimes de droit commun ont systématiquement fait l'objet d'une commutation de peine. Cette longévité de l'abolition de fait forme jusque dans les années nonante l'une des spécificités les plus remarquables du système pénal belge. Cette thèse a pour objet d'exposer les conditions de l'adoption de l'abolition de fait au 19ème siècle, ainsi que les fondements de sa pérennisation. Elle s'appuie sur une démarche heuristique plurielle : des sources législatives, doctrinales, judiciaires et administratives, auxquelles sajoute les archives du Palais royal, les sources de presse, les archives d'hommes politiques ou la correspondance des pénalistes. L'abolition de fait se profile au début de la décennie 1860, alors qu'a lieu une vaste campagne abolitionniste, déclenchée à la suite de l'erreur judiciaire dont auraient été victimes deux ouvriers flamands - Jan Coecke et Pieter Goethals. La cause abolitionniste connaît alors une audience sans précédent auprès de l'opinion publique. Appelés à se prononcer sur la question, les députés se prononcent majoritairement en faveur du maintien de la peine de mort. Mais le partage des votes révèle un écart très faible entre les partisans de l'abolition et leurs opposants. La conviction personnelle du ministre de la justice Jules Bara, soutenu par le gouvernement, fait pencher la balance vers une solution de compromis : maintenue, la peine de mort restera cependant inappliquée. Les événements et les débats qui ont lieu au cours de la décennie 1860 ne forment jamais que la cause proche, immédiate du progrès de la cause abolitionniste. Cette évolution brutale s'appuie en réalité sur une conjonction de facteurs de natures diverses, fruit d'un processus de longue durée. Elle s'ancre dabord dans la réforme pénale engagée depuis 1830, qui tend à remplacer le code de 1810 hérité du régime français par un code plus progressiste, en phase avec l'évolution doctrinale. Elle repose surtout sur la mutation qui s'opère depuis 1830 dans l'approche de la peine, plus particulièrement dans l'approche de l'enfermement. Un nouveau mode d'enfermement tend à remplacer le régime en commun qui est d'application dans les prisons : le régime cellulaire, qui suppose l'isolement complet du détenu. La généralisation du modèle cellulaire en Belgique favorise une évolution des représentations de la peine, d'autant plus aisément que l'isolement cellulaire apparait comme doté de toutes les vertus. Il semble pouvoir associer la dimension répressive à la dimension correctrice. Cette évolution des représentations a un impact sur l'appréhension du problème de la peine de mort. La généralisation de l'isolement cellulaire de longue durée, considéré comme particulièrement répressif, favorise, par un effet de compensation, le déclin de la peine capitale. A ces éléments qui appartiennent au domaine pénal, il faut ajouter d'autres facteurs, comme celui du jeu des majorités politiques dans les assemblées, mais aussi l'évolution socio-économique, qui ouvre notamment la voie à l'apparition d'un nouvel acteur politique de poids, l'opinion publique. L'ensemble de ces facteurs se conjuguent pour former un substrat idéal à l'élan abolitionniste des années 1860, et pour fonder sur des bases solides l'adoption de fait et sa pérennisation.


Bibliographic reference |
de Brouwer, Jérôme. "Un peuple civilisé n'use du dernier supplice qu'avec répugnance..." : la peine de mort en Belgique au 19ème siècle. Prom. : Bosly, Henri ; Rousseaux, Xavier |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/149874 |