Ngoma, Abdon Ignace
[UCL]
(fre)
L’étude que nous voulons présenter ici se veut être une analyse du rapport de la question de la justice à la problématique hautement significative du sujet. Cette étude se présente comme une recherche d’arguments qui, à travers le vaste projet de l’herméneutique-phénoménologique de Ricoeur, peuvent permettre de réfléchir sur la dialectique entre l’idée de justice et la question du sujet. Cette dialectique sous-entend que les véritables investigations sur le paradigme de la justice ne peuvent nullement occulter la question du sujet. Cette intuition nous est suggérée par la question fondamentale que pose l’auteur, sur ce qu’est le sujet de droit et à la quelle il apporte la réponse suivante : « Le sujet de droit, c’est à la fois la présupposition majeure de toute investigation juridique et l’horizon de la pratique judiciaire »1. A travers la quête de la liberté et de la libération de celle-ci, la phénoménologie de l’action, qui se déploie chez Ricoeur, pose le sujet comme un agent digne d’estime et capable de responsabilité et de justice à l’égard de l’autre, qui est à la fois son semblable et son prochain. Avec Ricoeur, nous découvrons que par la recherche ininterrompue du sens du vécu, le sujet se pose soi-même en supposant en même temps la position de l’autre, comme un autre. Le caractère insubstituable de soi, qui est mis en exergue par Ricoeur, fait amplement honneur à l’existence de l’autre à travers une altérité dont le point culminant est l’intervention du tiers dans les relations interpersonnelles. Les différentes identités du sujet, qui sont mises en lumière dans la phénoménologie herméneutique de l’auteur, ouvrent inéluctablement au phénomène de l’altérité, à la reconnaissance de l’autre par soi. Aussi faut-il penser une autre identité du sujet dont la perspective vise le dépassement de la structure autoréférentielle du sujet pour penser une valorisation de l’estime de soi et de la reconnaissance de l’autre. Cependant, si l’existence humaine exige un rapport de soi à autrui, il faut avouer que les relations intersubjectives sont souvent déséquilibrées. La présence d’une déchirure interne à la personne humaine sonne le glas d’une non-coïncidence de soi à soi. Celle-ci soulève la question du mal et celles de la violence et de la souffrance qui lui sont corrélées. Elle se décline sous le paradigme de la violence dans les relations dans la société. Ainsi s’impose à notre réflexion l’idée d’une altération des relations interpersonnelles. Les pratiques des uns ayant chaque fois un impact sur les autres, la phénoménologie de l’action qui se déploie chez Ricoeur justifie l’extension de la relation directe de soi à l’autre à la triade je-tu-il. Dès lors, le tiers, qui investit la relation immédiate je-tu, peut prendre les allures d’une institution dont le rôle fondamental consiste à réguler les liens entre les sujets dans une communauté historique. Si le rapport à la pluralité ne peut pas faire l’impasse de la conflictualité, il apparaît que l’ouverture à l’autre sous-tend l’enchevêtrement des sentiments d’amitié, de haine, de désir, de jalousie, etc. L’endettement des uns envers les autres, d’une génération à l’égard de l’autre, l’implication du volontaire et de l’involontaire dans l’agir des sujets, la divergence des intérêts individuels, constituent des points de conjonction ou des raisons de perturbation des rapports sociaux. Ainsi se justifie l’exaltation de la justice qui, à l’inverse de l’amitié amplement préférée par Aristote, concerne chacun sans sélection. A partir de la phénoménologie de l’action de l’auteur, l’éthique de la responsabilité, qui y est associée, souligne à juste titre la question de la justice dans les rapports sociaux, dans la répartition des biens et des charges et dans le respect de la loi. L’analyse de l’idée de justice que nous avons soumise à analyse, à la lumière de la problématique du sujet, recouvre à la fois la sphère de l’éthique et celle des rapports sociaux, avec en ligne de mire l’implication des institutions. Bien que ne soit pas clairement présente une philosophie politique chez Ricoeur, il apparaît qu’il soit difficile de faire l’économie d’une recherche philosophique portant sur l’harmonie et la quête de la paix dans la communauté politique. Si la vie bonne, à laquelle chacun aspire, est une composante essentielle de la perspective éthique de Ricoeur, c’est aussi « avec et pour les autres dans des institutions justes » qu’elle se déploie exactement. Ricoeur se démarque ainsi de l’approche rawlsienne de la justice, en émettant quelques critiques à l’égard de la perspective procédurale de Rawls, dont les principes de justice ont une part liée avec la fiction. A partir de l’entrée en scène de l’institution dans les rapports sociaux, nous avons revisité la notion d’égalité qui donne à son tour quelques lettres de noblesse au paradigme de la réciprocité, suivant ce que Ricoeur appelle une « détermination nouvelle du soi ». Le concept du vivre-ensemble, qui se trouve associé à cette nouvelle détermination du soi, laisse entrevoir l’idée du fonctionnement des institutions fiables. Dès lors, la dimension éthique de la justice fait appel à une seconde sphère, qui est précisément celle de l’appareil judiciaire qui procède à une mise à distance des protagonistes. Sous l’égide l’appareil judiciaire, le rapport offenseur-offensé fait appel à la médiation de la loi. La transgression de celle-ci devient comptable de la nomination du coupable et de la victime. L’exaltation de la légalité, héritée des modernes, dont Kant et Hegel, met en exergue le déploiement des canaux de justice, dont le rôle capital est de promouvoir le discours et de dire le droit au nom de la société. La réflexion de Ricoeur oscille alors entre la rationalité de la peine et la question de la réhabilitation. S’il est admis que le coupable s’expose à l’exécution de la peine, il n’est pas exclu que soit toujours envisagée la problématique de sa réinsertion dans la société. Ricoeur réfléchit à un dépassement de la justice classique, dont le principe majeur consiste à sanctionner le coupable, pour exalter une justice restauratrice qui vise la préservation de l’estime de soi, même du coupable. Le phénomène du pardon sert ainsi de facteur déterminant pour l’accès des sujets à une autre possibilité de vivre-ensemble. Le pardon n’est pas similaire à l’oubli. Il permet d’éviter le cycle des violences et de raconter le passé. Ainsi, Ricoeur se démarque d’Arendt dont l’analyse sur le pardon offre la possibilité de l’effacement du passé. Si Ricoeur entretient une sorte d’ambiguïté sur la question de la gratuité ou non du pardon, si sa réflexion ne tranche pas sur la problématique de la récidive, il apparaît néanmoins clair que la question de la justice occupe une place de choix dans l’ensemble de sa démarche philosophique. Tout porte à penser que l’ensemble de sa démarche oriente à l’idée de justice.


Bibliographic reference |
Ngoma, Abdon Ignace. L'idée de justice dans le déploiement de la phénoménologie du sujet de Paul Ricœur . Prom. : Depré, Olivier |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/143866 |