Duez, Denis
[FUSL]
Dans un texte publié suite aux événements new-yorkais du 11 septembre 2001, Didier Bigo, rédacteur en chef de la revue Cultures et Conflits, débute son propos par cette phrase quelque peu surprenante : « Le terrorisme n’existe pas» . Cette affirmation provocatrice, si elle reflète le goût certain de l’auteur pour la polémique, n’en traduit pas moins assez précisément le malaise profond du politologue lorsque se pose la question de la définition du terrorisme. Une telle entreprise apparaît en effet bien souvent impossible à réaliser tant la signification de ce terme varie en fonction de l’Etat, du groupe social ou encore de l’individu pris en compte. Ainsi, il semble exister autant d’acceptions du terrorisme qu’il existe de points de vue politiques et de situations historiques concrètes. Dans un tel contexte, on comprendra aisément les énormes difficultés obérant toute tentative de réaliser un consensus autour d’une seule et même définition du terrorisme. Du point de vue des sciences politiques, et plus largement des sciences sociales, tout effort de définition doit se conformer à deux principes essentiels mis en évidence par le sociologue Emile Durkheim . Tout d’abord, le concept proposé doit être opératoire, ce qui signifie qu’il doit satisfaire aux critères de cohérence intellectuelle et de pertinence heuristique. Le concept doit donc être un instrument utilisable dans le cadre d’une analyse scientifique. Ensuite, en dépit de l’indispensable exercice de généralisation et d’abstraction qu’il implique, le concept proposé doit conserver une proximité maximale avec le sens commun. L’effort de conceptualisation ne peut en effet entraîner le chercheur sur des voies trop éloignées des points de vue les plus généralement répandus dans la société. Dans le cas du terrorisme, chacune de ces deux conditions s’avère difficilement réalisable en raison de la forte charge émotionnelle mais aussi morale associée à cette expression. Dès lors, en l’absence d’une définition stable et largement acceptée, l’usage du terme « terrorisme » tend généralement à complexifier et « polémiser » tous les débats . Or un concept vise en principe à neutraliser tout conflit sur les significations afin de faciliter les discussions de fond. Pour ce faire, il décrit à l’aide de catégories préexistantes, acceptées par tous, des phénomènes nouveaux ou mal compris. Par conséquent, l’expression « terrorisme » ne peut, de ce point de vue, être élevé au rang de concept pertinent en sciences politiques. C’est en ce sens qu’il nous faut comprendre la phrase de Didier Bigo selon laquelle le terrorisme « n’existe pas ». En fait, ce sont deux obstacles majeurs qui s’opposent à toute conceptualisation de la notion de terrorisme. Le premier tient au caractère hétérogène des phénomènes susceptibles d’être rassemblés sous le vocable « terrorisme ». Ce terme renvoie en effet à des situations historiques multiformes parfois très éloignées les unes des autres (I). Le second obstacle résulte quant à lui des enjeux symboliques et politiques généralement associés à l’usage de ce terme. Derrière l’enjeu de la définition du terrorisme se retrouvent en effet d’âpres combats pour la légitimité et la stigmatisation des comportements de l’adversaire qui rendent au final impossible tout accord sur le contenu du concept (II).


Bibliographic reference |
Duez, Denis. De la définition à la labellisation : le terrorisme comme construction sociale. In: Karine Bannelier, Théodore Christakis, Olivier Corten, Barbara Delcourt, Le droit international face au terrorisme. Après le 11 septembre 2001, Pedone : Paris 2004, p. 105-118 |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.3/133762 |