Duez, Denis
[FUSL]
La principale caractéristique d’un régime démocratique réside dans ce que Pierre Rosanvallon appelle "l’onction populaire des gouvernants". Cette onction a historiquement pris la forme d’un processus électoral permettant la désignation des représentants de la Nation, d’une part, et, d’autre part, de la reconnaissance du principe majoritaire qui consiste à postuler que l’avis de la totalité épouse celui du plus grand nombre. Cette double fiction fondatrice, selon laquelle la légitimité du moment électoral vaut pour toute la durée du mandat et la partie pour le tout, a toutefois été progressivement battue en brèche sous le coup des critiques qui frappent la démocratie représentative depuis son origine. C’est aujourd’hui l’idée même d’une légitimité démocratique uniquement issue des processus électoraux qui se voit contestée. Dans le contexte de la mise en évidence des limites de la représentation politique, la notion de participation s’est imposée comme la nouvelle référence à l’aune de laquelle devrait se mesurer la légitimité démocratique. L’irruption dans l’espace public d’une figure du citoyen réputé actif et informé apparaît, simultanément, comme la cause et comme la solution de la crise de la légitimité démocratique. Elle en serait la cause car cette irruption soulignerait le décalage existant entre les choix des gouvernants et ceux des gouvernés, contribuant ce faisant à délégitimer ces choix. Elle en serait la solution car elle constituerait un correctif indispensable au modèle représentatif classique. Incantation aussi floue que puissante, la "participation" est ainsi appelée à redonner de la légitimité aux décisions politiques, voire plus directement aux acteurs et institutions politiques elles-mêmes. Au plan sémantique, tant les discours politiques que les pratiques de terrain tendent en outre à nourrir une confusion entre les notions de participation et de gouvernance. Or, si ces deux notions récusent l’une comme l’autre la primauté absolue du rôle de l’État et visent à s’affranchir d’un certain formalisme juridique, elles n’en sont pas moins conceptuellement distinctes. L’idée de démocratie participative renvoie à un idéal démocratique pour lequel l’ensemble des citoyens non investis d’un mandat électif devraient être impliqués directement dans la gestion des affaires publiques au-delà des périodes d’élections. L’idée de gouvernance a quant à elle une valeur tout aussi bien descriptive que prescriptive. Elle met en exergue la multiplication des acteurs ou des parties prenantes en soulignant l’essor des partenariats entre acteurs publics et acteurs privés. Elle souligne la complexification de l’action politique et en particulier de la prise de décision, les problèmes de coordination qui en découlent, les questions liées à l’imputation des décisions et donc les enjeux en termes de responsabilités, l’élargissement et la complexification des phénomènes d’interdépendance, etc. Ce flou conceptuel et la diversité des pratiques provoquent le scepticisme. Nombre de travaux insistent sur l’aspect "gadget", voire "manipulateur", de ces pratiques. Mais ce flou explique également une part du succès de la notion de participation, notamment dans le champ communautaire européen. La mise en cause des fondements "traditionnels" de la légitimité démocratique n’épargne pas, en effet, le système politique européen. Ou plutôt, parce que l’Union européenne ne peut être considérée comme une démocratie représentative aboutie – ce qui supposerait entre autres un contrôle politique accru du Parlement européen sur la désignation et l’action de l’exécutif européen –, la nécessité de faire participer la société civile à la gouvernance de l’Union apparaît comme un impératif majeur. L’épuisement du "consensus permissif" à la fin des années 1980 a contraint la classe politique européenne à repenser la légitimité de l’Union. La légitimité des politiques européennes et, plus largement, du processus de construction européenne repose ainsi, plus encore qu’au niveau national, sur la capacité des acteurs politiques à remplacer un modèle de pouvoir, qui s’impose depuis le haut aux gouvernés, par un modèle accordant une place significative à la participation. Tout comme dans les sphères nationale et locale, l’importation du paradigme participatif ne s’est toutefois effectuée qu’au terme d’un processus concurrentiel opposant deux visions – représentative et participative – de la légitimité démocratique. Loin de s’être faite sans résistance cette importation a donc été contestée. Elle s’est en outre accompagnée d’un glissement notable de la figure du citoyen vers celle de la "société civile organisée".


Bibliographic reference |
Duez, Denis. La démocratie participative européenne. Du citoyen à la société civile organisée. In: C. CHENEVIERE, G. DUCHENNE, Les modes d'expression de la citoyenneté européenne, 2011, p. 87-102 |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.3/128224 |