Romainville, Céline
[UCL]
Introduction La contribution étudie la démocratisation de la culture et la démocratie culturelle telles qu’elles sont évoquées dans les textes juridiques concernant les Centres culturels de la communauté française de Belgique. En se centrant sur l’étude de ces textes et dans leurs documents préparatoires, l’idée est d’identifier comment certaines notions inscrites dans ces textes et documents évoquent des politiques de démocratisation de la culture ou de démocratie culturelle et, en retour, de préciser comment les concepts de démocratisation et de démocratie culturelle figurent, opèrent et évoluent dans ces textes. La mise en œuvre d’une telle démarche analytique requiert non seulement de se fonder sur une analyse historique des textes mais également de prendre en compte l’aspect « mythique » de ces deux paradigmes des politiques culturelles et de certaines de leurs interprétations. On peut globalement définir la démocratisation de la culture comme étant « centrée sur la valeur esthétique des œuvres jugées les plus significatives » et comme visant à « promouvoir leur fréquentation par le plus grand nombre ». Il s’agit de favoriser « une égalité réelle des conditions » en transmettant « les bienfaits de la culture à l’ensemble de la population ». Ce paradigme des politiques culturelles repose ainsi sur une conception patrimoniale et relativement restreinte de la culture. Ainsi, la démocratisation touche surtout « le domaine de l’art », même entendu au sens large, et se développe presqu’exclusivement dans les enceintes « institutionnalisées » de sa diffusion (opérateurs culturels, grands équipements culturels, etc). La démocratie culturelle, quant à elle, propose d’aller au-delà d’une assimilation d’une culture objective et établie. Elle tend à la construction d’un citoyen qui peut « agir, qui peut comprendre et évaluer la société ». La démocratie culturelle « appelle une définition plus large de la culture qui s’étend aux traditions, au cadre et aux modes de vie ». L’idée est de légitimer l’ensemble des formes d’expression, « des plus nobles aux plus marginales », et notamment de se faire l’écho des cultures populaires, d’abolir les hiérarchies entre les cultures, d’encourager la participation à toutes les formes de cultures et le dialogue entre les cultures, le décloisonnement entre les secteurs et les arts, l’échange entre les différentes formes d’expressions. Par ailleurs, la démocratie culturelle repose sur la croyance en la portée sociale de la culture et sur l’idée que la culture « peut contribuer à la revitalisation du lien social, au renforcement de l’identité culturelle, à l’intégration de groupes minoritaires ou exclus ». Dans l’optique de démocratie culturelle, « [l]a culture n’[est] plus seulement un patrimoine à transmettre mais une œuvre vivante à créer par les groupes de la population dans leur infinie diversité » . Première partie : les lectures de l’évolution de la démocratisation et de la démocratie culturelle Il importe de rappeler et de discuter les lectures de la démocratisation de la culture et de la démocratie culturelle données par une série d’auteurs influents. L’évolution de ces deux paradigmes dans la littérature politique, sociologique ou juridique connaît des soubresauts qui méritent d’être soulignés. Selon les auteurs consultés, la démocratisation de la culture reposerait sur plusieurs hiérarchies fondatrices : la prééminence de la révélation sur l’éducation, la médiation ou la contamination ; la prééminence des pratiques artistiques et collectives sur les pratiques individuelles et la prééminence des « arts majeurs » et professionnels sur les « arts mineurs » et amateurs. Ces différents clivages ont profondément marqué l’appréhension du concept de démocratisation de la culture. En ce qui concerne la démocratie culturelle, tous les auteurs s’accordent sur le rôle majeur joué par Mai 68 et la conception de l’art et de son rôle dans la société. Le bouleversement induit par Mai 68 dans le domaine culturel, qui s’expliquerait principalement par la considération de la culture comme un processus social, participatif et politique, donne naissance à la « démocratie culturelle ». Celle-ci se fonderait sur trois contestations essentielles : une critique de la démocratisation de la culture – entendue comme une entreprise bourgeoise qui répand une vision de l’homme et de la société qui légitime l’ordre social existent– ; la contestation de la représentation dominante à l’époque du phénomène culturel (à travers une contestation de la notion patrimoniale de la culture) ; enfin, une conception plus radicale, sociale et participative de la culture et du phénomène de la consommation culturelle qui est jugée « passive, purement réceptive, non critique, abrutissante et démobilisante», ne laissant aucune place à l’action. L’action culturelle se devait donc d’être « une forme de politisation des consciences, au sens large du terme, c'est-à-dire [qui] vise à mettre les gens en mesure de se politiser » , mais également à permettre, face à la société de consommation, de faire advenir toutes les cultures en leur permettant également de participer à l’expression et à la critique . Pour les auteurs consultés, Mai 68 n’a pas induit un abandon total de la démocratisation de la culture, loin s’en faut. Cette idée phare des politiques culturelles aurait simplement été réorientée, dans les discours, vers une lutte plus ciblée contre les inégalités sociales de l’accès à la culture. les objectifs sont d’augmenter le nombre de participants, de « modifier la composition socio-démographique des publics en attirant prioritairement les catégories de la population moins portées vers l’art », et de « de former et de fidéliser les nouveaux venus pour en faire un public à la fois connaisseur et régulier » . Les auteurs soulignent que, suite aux désillusions qui ont frappé la démocratie culturelle, l’évolution des politiques culturelles dans les années 80 se marque par une volonté de diffusion de l’art et de la culture pour le plus grand nombre. Cette politique de diffusion se fonderait sur de nouveaux postulats esthétiques, laissant de côté l’idée d’une métamorphose sociale par l’art et magnifiant le rôle des artistes. Quant à ces vingt dernières années, elles seraient traversées par l’essoufflement des projets de démocratisation de la culture et de démocratie culturelle. Une « réponse pédagogique » à l’échec de la démocratisation de la culture se traduirait dans l’institution de services pédagogiques dans les musées mais également dans des mécanismes structurels visant à opérer des ponts entre culture et école. Deuxième partie : l’évolution des concepts de démocratisation de la culture et de démocratie culturelle dans les textes consacrés aux centres culturels Étant donné la divergence des lectures de la démocratisation de culture et de la démocratie culturelle et la plasticité de ces concepts, il est nécessaire d’opérer un retour vers les textes juridiques consacrés aux Centres culturels et aux idées qu’ils charrient pour identifier, avec précision et rigueur, comment ces textes ont traduit, assimilé et réinterprété les concepts de démocratisation de la culture et de démocratie culturelle. En ce qui concerne l’introduction générale et le livre I consacré aux Centres culturels du Plan Quinquennal de politique culturelle, adopté en 1968 sous la direction de Pierre Wigny plusieurs lignes de forces peuvent être mises en exergue. Il y a, d’abord, la volonté démocratique de créer une culture, non pas pour une élite privilégiée, mais pour la « masse » Cet objectif anime tout le livre I du Plan et son introduction générale. Ensuite, les rédacteurs du Plan ont eu le souci, dans ce cadre, de lutter contre les obstacles financiers et géographiques à travers la décentralisation et le contrôle des prix (volonté d’inviter à la culture). Cette volonté de démocratisation de la culture, au sens le plus classique du terme, est primordiale dans le Plan. Enfin, le Plan Wigny entend lutter contre les « blocages » sociaux, symboliques et psychologiques (volonté d’initier à la culture) même si cette idée d’initiation reste toutefois moins développée que les stratégies d’invitation à la culture. À travers sa politique d’invitation et, dans une moindre mesure, d’initiation à la culture, le Plan Wigny semble être l’expression même de la démocratisation culturelle. Toutefois, soulignons que le Plan fait plusieurs fois référence à l’éducation permanente et à la participation active à la culture, et donc à l’idée de démocratie culturelle (même si cette référence n’est pas toujours suivie d’effet dans les budgets et la réglementation du fonctionnement concret des Centres culturels). Quant à l’arrêté royal de 1970, souvent analysé comme la consécration de la démocratie culturelle, il s’avère plus ambivalent que ce que ne laissent penser les grandes déclarations de principes, toutes tournées vers l’animation socioculturelle, l’éducation permanente et le développement communautaire. En effet, même si l’animation socioculturelle est présenté comme l’élément central de cette réglementation, celle-ci concède, dans ses mesures d’exécution comme dans les conditions de reconnaissance des Centres culturels, une importance particulière à des enjeux comme la diffusion ou la question de l’infrastructure. Une continuité est donc à retrouver entre le Plan Wigny et l’arrêté royal de 1970. Enfin, en ce qui concerne le décret de 1992, alors même qu’il fait explicitement référence à la démocratie culturelle, il donne une lecture singulière de ce paradigme de l’action culturelle publique par l’entremise de la notion de « développement socio-culturel ». En effet, cette notion comprend d’importants éléments liés à la démocratisation de la culture. Enfin, le décret consacre une mission renforcée de diffusion culturelle pour les Centres culturels et confère une importance nouvelle à la création, renouant ainsi avec les objectifs classiques de la démocratisation de la culture. Conclusion Les paradigmes de démocratisation et de démocratie culturelle restent des notions fuyantes dans le droit des Centres culturels, dès que l’on dépasse l’antinomie un peu simpliste entre démocratisation-diffusion et démocratie-animation. Aucun des textes analysés ne fournit de définition claire de ces deux paradigmes. Et, plus fondamentalement, aucun des textes analysés ne peut être considéré comme la traduction pure et simple d’un des deux paradigmes: même si certaines orientations générales ont pu être tracées, tous les textes empruntent certains traits saillants de chaque paradigme dans une relation qui est plus une relation de complémentarité – inconsciente ou consciente – que d’antagonisme.


Bibliographic reference |
Romainville, Céline. L’évolution des concepts de démocratisation de la culture et de démocratie culturelle dans les textes législatifs consacrés aux centres culturels. (2012) 43 pages |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078/117605 |