Catellani, Andrea
[UCL]
Ce texte veut interroger un discours spécifique de critique de l’entreprise, celui du site Internet dédié au « Prix Pinocchio » des Amis de la Terre-France, section française de l’ONG internationale Friends of the Earth. Ce prix est décerné depuis quelques années à Paris par cette association pour « illustrer et… dénoncer les impacts négatifs de certaines entreprises françaises, en totale contradiction avec le concept de développement durable qu’elles utilisent abondamment ». Un prix ironique (ou sarcastique), qui veut mettre en évidence le contraste entre la communication et la pratique.
Cet article veut enquêter sur les modalités discursives adoptées sur le site du Prix pour argumenter contre les entreprises qui sont identifiées chaque année comme « coupables ». Il s’agit en effet de mettre en évidence des stratégies rhétoriques spécifiques, utilisées pour construire un « anti-sujet » négatif (un coupable), l’entreprise multinationale française ennemie de l’environnement et/ou des droits de l’homme. Ce coupable est donc exposé à la critique, « cloué au pilori » électronique, pour le mettre sous pression, et le forcer à assumer des comportements vraiment « durables » et solidaires. Même si ce prix apparait assez peu connu du grand public, des milliers d’internautes (4.193 en 2008, 7.495 en 2009) ont participé au vote électronique pour élire les « lauréats », les entreprises et institutions financières le plus « coupables » d’hypocrisie solidariste et environnementaliste.
Cette analyse sera conduite avec des outils qui dérivent de l’approche sémiotique et rhétorique du discours médiatique. Claude Zilberberg et d’autres sémiologues français ont défini la « dimension rhétorique » comme celle qui « regrouperait, dans la perspective du discours en acte, l’ensemble des procédures permettant de gérer la co-habitation problématique entre deux grandeurs en compétition » (Fontanille–Bordron 2000, 7 ; voir Zilberberg 2006). Le discours nous apparait, de ce point de vue, comme un champ traversé par toutes les tensions et la polémique qui animent la communication : le terme de « grandeur » utilisé fait référence en effet à tout type de contenu discursif (opinions, évaluations, croyances, points de vue, etc.) qui émerge dans le discours pour être soutenu, défendu, ou au contraire attaqué et critiqué.
Le discours du site du Prix Pinocchio nous montre un exemple intéressant de cette condition de tension entre entités culturelles et discursives, de cohabitation polémique et de lutte conduite avec les mots, pour convaincre le destinataire. Il s’agira alors d’explorer ces tensions, pour en distinguer différents niveaux, à l’aide des catégories de la narratologie et de la sémiotique . Après une brève carte d’identité du Prix Pinocchio et des Amis de la Terre, nous procéderons donc à l’observation des « portraits » verbaux de quelques « lauréats » 2009 proposés sur le site, en distinguant différentes stratégies utilisées.
Bibliographic reference |
Catellani, Andrea. Les aventures de Pinocchio au pays du greenwashing. In: Catellani Andrea, Contredire l’entreprise. Actes du colloque de Louvain-la-Neuve, octobre 2009, Presses universitaires de Louvain : Louvain-la-Neuve 2010, p. 59-68 |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/77605 |