Bragard, Véronique
[UCL]
Voyages en coolitude: une analyse comparative et textuelle de la mémoire créatrice et interculturelle des écrivaines descendantes de coolies.
Il y a plus de 150 ans, des milliers de coolies (indiens sous contrat) étaient " importés " par les colons britanniques et français pour remplacer, dans leurs plantations, les esclaves récemment affranchis (principalement en Afrique du Sud, aux Antilles et à l'île Maurice). Un nouveau système oppressif était né, rappelant insidieusement l'esclavage. Même si des écrivains comme V. S. Naipaul ont été reconnus sur la scène mondiale littéraire, beaucoup d'entre eux ont été marginalisés. Les femmes écrivaines le furent encore plus par le système plantocrate et, plus tard, par des communautés indiennes patriarcales souvent fossilisées. Ce n'est que depuis quelques décennies que ces écrivaines ont pris la plume pour se lancer à la recherche d'une identité et d'un passé fondateurs. Cette quête créatrice mêle soulagement et souffrance en générant une remise en question des origines, de l'identité culturelle, de l'appartenance à une communauté où les femmes sont souvent enfermées dans des rôles définis et étouffants. Ce questionnement est prélude à un processus de métissage, de " massalafication " (mélange d'épices) des composantes culturelles et littéraires héritées.
A la lumière du concept de coolitude développé par le poète mauricien Khal Torabully, notre étude est principalement une analyse comparative et textuelle d'une quinzaine d'ouvrages (prose, poésie) couvrant la période 1970-2002 et écrits par des femmes descendantes de travailleurs coolies. Ces écrivaines aux héritages multiples écrivent depuis des mégalopoles occidentales vers lesquelles elles ont entrepris une autre traversée. Notre travail met en exergue les thématiques, symboles, motifs et métaphores récurrents dans ces ouvrages et constitutifs de ce que nous appellerons " l'imaginaire coolie, " un imaginaire de la " cross-culturality, " de la rencontre de cultures. La traversée des Kala Pani (eaux noires car impures) est réexplorée et émerge comme un mythe des origines dans lequel le lien maternel devient mer amniotique, symbole d'identités plurielles. La traversée vers l'ailleurs, une traversée à la fois fondatrice, destructrice et créatrice, constitue le paradigme de notre étude. Si l'Inde reste présente, elle ne constitue plus une mère patrie mais un chaudron de valeurs, de rituels, de recettes dans lequel de nombreuses écrivaines puisent les éléments dont elles ont besoin afin de comprendre et constituer leur identité. A côté de cette traversée transocéanique, le passage du village (lui-même revisité et mythifié) à la métropole dévorante, ainsi que le paysage de l'île (source de nombreuses images) constituent des thématiques récurrentes. Le village qui représente la naissance de la communauté coolie et sa disparition, symbolise également le rapprochement à d'autres communautés. Une analyse de l'attitude des personnages vis-à-vis de leur culture d'origine et de celle du colonisateur révèle l'important itinéraire des générations. Ce sont probablement les métaphores culinaires qui caractérisent le mieux les écrits de ces femmes. La " massalafication " identitaire rend compte d'un processus de construction culturelle à la fois dynamique et unique. Cette massalafication se retrouve aussi dans les choix formels et génériques de ces auteurs: des écrits qui font dialoguer genres, sous-genres, modes, focalisation interne et narration polyphonique.
La coolitude, d'après la présente étude, émerge non seulement comme une prise de conscience identitaire liée au coolie trade et à la diaspora, mais aussi, de manière plus générale, comme une affirmation d'une identité plurielle et en devenir, entre l'Inde et l'Ailleurs, entre l'Ailleurs et l'Occident, entre l'Occident et les " patries imaginaires " sans cesse réinventées par les ouvrages littéraires en question.
Bibliographic reference |
Bragard, Véronique. Voyages into Coolitude : A Comparative and Textual Analysis of Kala Pani Women's Cross-Cultural Creative Memory. Prom. : Latré, Guido ; Deliège, Robert |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/4875 |