Père du peuple ou roi de guerre ? Arbitraire et arbitrage de la grâce des gens de guerre dans le royaume de France, 1460-1559

Deruelle, Benjamin [Université du Québec à Montréal] Verreycken, Quentin [UCL]

À la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne, le pouvoir de pardonner apparaît comme l’une des expressions les plus éclatantes de la souveraineté. Le droit de grâce est présenté cependant encore bien souvent uniquement comme une manifestation de l’arbitraire princier, lieutenant de Dieu sur terre et à ce titre premier justicier du royaume. L’octroi de la miséricorde n’en obéit pas moins aux règles des procédures définies par la législation, aux logiques de la nécessaire régulation des relations sociales, ainsi qu’aux contraintes structurelles et conjoncturelles qui pèsent sur l’exercice du pouvoir. La présente contribution propose ainsi d’examiner la manière dont s’articule, se complète et s’oppose parfois la pratique des pouvoirs régaliens de la justice et de la guerre au travers des lettres de rémission accordées aux gens de guerre en France au tournant des XVe et XVIe siècles. Leur examen montre en effet que, loin d’être l’unique expression du pouvoir absolu ou discrétionnaire du souverain, l’usage du droit de grâce répond à une pragmatique du gouvernement et à des logiques sociales, politiques et militaires. Les carences logistiques de l’État, le système du volontariat, les coutumes de la guerre, tout comme l’idée de contrat, voire d’obligation, entre le monarque et ses gens de guerre, représentent autant de contraintes et de limite à la puissance théoriquement absolue du souverain. L’étude des logiques (1) et des fins (2) propres à la pratique de la miséricorde princière en faveur des combattants permettra de mettre en valeur les tensions qui traversent l’exercice du pouvoir monarchique (3), tiraillé entre les figures complémentaires et antinomiques du roi père du peuple et du roi de guerre.