Romainville, Céline
[UCL]
Trioleyre-Escanez, Camille
[UCL]
Si, sur le plan des principes, l’accès et la participation à la vie culturelle sont des droits fondamentaux, la réaction des gouvernements à la COVID-19 a jeté une lumière crue sur l’importance réellement conférée à ces enjeux. Presque partout, l’accès et la participation à la vie culturelle ont été considérés comme une variable d’ajustement dans la réponse politique à la pandémie. Les gouvernements ne paraissaient même pas toujours avoir conscience que, lorsqu’ils fermaient les lieux de culture, ils portaient atteinte à un droit fondamental. En outre, il ne semble pas qu'une attention particulière ait été accordée aux titulaires du droit de participer à la vie culturelle dans la prise de décision ; en particulier, il n’apparaît pas que l’on ait à aucun moment rendu présente la réalité de certains publics pour qui la culture représente un enjeu décisif en termes d’égalité et de non-discrimination. Cet état des choses tranche avec l’importance accordée à l’accès à la culture et à la participation à la vie culturelle dans certaines analyses récentes du monde social. Ainsi, une petite enquête menée par Le Monde diplomatique auprès de personnes issues des classes populaires révélait récemment que, parmi les préoccupations principales de ces personnes, on retrouve, après l’encadrement strict du prix des produits de première nécessité, deux enjeux relatifs à l’accès et à la participation à la vie culturelle : d’une part, le coût de l’école, et notamment des sorties extrascolaires, et, d’autre part, celui des activités de loisir, jugées « hors de prix ». Dans son dernier livre Les épreuves de la vie, Pierre Rosanvallon souligne également toute l’importance de l’accès et de la participation à la vie culturelle. Il défend la thèse selon laquelle les individus doivent faire face à des épreuves particulières du lien social, dont celle du mépris de distinction. Ce mépris individualiste est alimenté par des mécanismes de distinction culturelle, dans lesquels se jouent l’accès et de la participation à la diversité de la vie culturelle. Ce mépris constitue une « reproduction inversée et dégradée du sentiment artiste à l’égard de la platitude bourgeoise ».2 Certes, ce mépris ne repose plus sur un lien mécanique entre classe sociale et consommation culturelle3 mais les mécanismes de distinction subsistent, avec davantage de dissonances individuelles4. Ces mécanismes s’expriment désormais sous la forme d’un « mépris de condescendance » et d’un « mépris d’indifférence », qui nourrissent le ressentiment. Or, ce mépris, ce ressentiment, posent d’importants défis à nos systèmes démocratiques. Dans un tel contexte, il importe d’analyser l’enjeu de l’accès et de la participation à la vie culturelle. Le sujet est vaste ; la présente contribution se limite à poursuivre trois objectifs. Premièrement, il s’agit de décrire, d’expliquer et d’évaluer dans quelle mesure le droit européen et international des droits et libertés intègre la préoccupation de l’accès et de la participation à la vie culturelle. Nous analyserons successivement le droit des Nations-Unies, de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’Union européenne. Deuxièmement, on cherchera à expliquer et à évaluer l’écart existant entre les développements – principalement onusiens – sur cet enjeu et la portée toute relative conférée au droit d’accéder et de participer à la vie culturelle. L’imprécision de l’objet du droit de participer à la vie culturelle et des prérogatives qu’il implique constitue une première explication de la faiblesse de ce droit sur le terrain du droit. L’explication de la distance séparant le law in books et le law in action tient également au fait que les politiques publiques restent les principales garanties du droit d’accéder et de participer à la vie culturelle. Ainsi, le droit d’accéder et de participer à la vie culturelle n’a qu’une faible autonomie par rapport aux politiques publiques. La définition de l’objet et du contenu de ce droit évolue au rythme des hésitations des politiques culturelles nationales. L’imprécision de ce droit reflète également la difficulté d’identifier un dénominateur commun aux paradigmes animant des politiques culturelles nationales parfois contradictoires, souvent décrites comme étant en crise, en recherche de précision, voire de sens. Ainsi, l’interprétation du droit de participer à la vie culturelle oscille une approche universaliste, promotrice de l’accès de tous à une culture commune, ou communautarienne, soucieuse de la protection des identités culturelles de communautés culturelles particulières. Les hésitations dans l’interprétation concernent également le rapport aux marchés. Troisièmement, nous analyserons l’accès et la participation à la vie culturelle dans les droits français et belge. Partant du postulat que le droit des temps de crise peut révéler les fragilités du droit des temps ordinaires, nous nous limiterons, dans les limites de la présente contribution, à une analyse de la jurisprudence rendue sur les décisions de fermeture des secteurs culturels. Nous analyserons la question de savoir si le choc provoqué par la pandémie de Covid 19 a permis de préciser les contours du droit de participer à la vie culturelle. Pour déplier ces différentes hypothèses, nous esquisserons dans une première partie les grands paradigmes des politiques culturelles menées depuis le mitan du XXe siècle (I). Dans une deuxième partie, nous déplierons l’évolution du droit d’accéder et de participer à la vie culturelle dans une analyse multi-niveaux, en l’articulant avec l’évolution des politiques culturelles (II). Dans une troisième et dernière partie, nous analyserons certaines décisions des juridictions belges et françaises, rendues dans le contexte de restrictions, voire de suspensions, du droit d’accéder et de participer à la vie culturelle (III).
Bibliographic reference |
Romainville, Céline ; Trioleyre-Escanez, Camille. Le droit d'accéder et de participer à la vie culturelle. In: Revue de Droit d'Assas, Vol. 1, no. 23 [Dossier "Droit et culture"], p. 41-61 (2022) |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/270966 |