Notre réflexion interroge les relations complexes entre l’espace, la mobilité et la citadinité, par une approche comparative et interdisciplinaire. Au centre de la problématique développée est le rapport entre les individus « en transit », invisibles et flottants, habitants des marges de la ville, et l’espace urbain. La notion de citadinité (Lepetit 1999 ; Dorier-Appril, Gervais-Lambony 2007 ; Baby-Collin, Bouillon 2008 ; Berry-Chikhaoui 2009) est d’après nous le concept clé pour appréhender comment ces individus ont accès à la ville (Isin 2012) et comment, à travers leurs pratiques de l’espace et la mobilisation des ressources, ils parviennent à s’insérer dans son maillage social, économique et spatial.
Le rapport entre mobilité et citadinité est interrogé selon une double perspective. D’une part, on se penche sur les espaces investis par les individus en transit, qui rendent possible l’insertion en ville, grâce à l’accès à des ressources locales diverses (logement, socialité, information, travail, santé). En d’autres termes, par quels espaces et par quelles pratiques la citadinité des individus en transit se déploie-t-elle ? D’autre part, nous interrogeons l’envers de cette dynamique, c’est-à-dire comment la mobilité des individus contribue à la fabrique de la ville, en modifiant son tissu social, spatial et économique.
L’interdisciplinarité et les différences des contextes étudiés nous permettront d’apporter un éclairage inédit à ces questions. Pour les aborder, nous nous appuierons sur nos terrains respectifs, Rome (XVIIe siècle) et Turin (XXIe siècle), où nous avons mené nos enquêtes à travers une approche micro-historique dans le premier cas, et ethnographique dans le deuxième. Dans la Rome de l’Ancien Régime, plusieurs exemples montrent que l’accès aux ressources urbaines et la vie dans les marges pouvaient coexister, ce qui est particulièrement visible dans les domaines de l’habitat, de l’économie urbaine et du « welfare » : l’étude des pratiques des individus mobiles montre en effet que leurs parcours, loin d’être « flottants », étaient au contraire pleinement intégrés à la ville. Quant à la Turin d’aujourd’hui, les migrants « roms » habitants des établissements précaires – un exemple parmi d’autres –, que ce soit à travers la mendicité, la récupération des déchets, la vente au marché aux pouces, la fréquentation des douches municipales, ils pratiquent la ville bien au-delà des marges spatiales où ils sont relégués.
Le dialogue entre histoire et géographie urbaine met en évidence la pertinence de l’approche longitudinale/biographique dans l’analyse de phénomènes qui mobilisent à la fois la dimension spatiale et sociale des villes et que, malgré cela, ont souvent été traités en privilégiant l’une ou l’autre (Pinol 1999 ; Rosental 1999 ; Legros, Vitale 2011). De plus, en introduisant la variable temporelle, on découvre la complexité de certaines notions : pensons par exemple à la durée parfois pluriannuelle des « transits » et des « passages » (Counilh, Simon-Lorière 2011).
Rosa, Elisabetta cinzia ; Canepari Eleonora ; et. al. Spaces of citizenship. Transient Individuals and insertion practices within the city - Italy, 17th and 21st century.9th Franco-Italian meeting of social geography (Université de Toulouse).