Burks, Deven
[UCL]
Ralph Waldo Emerson, interlocuteur de Kant : voici une idée qui pourrait surprendre les philosophes. Depuis 1950, l’œuvre de Emerson a pourtant bénéficié d’une réhabilitation qui montre 1 combien l’auteur était engagé dans les problèmes philosophiques de son temps . Ses contributions éthiques et épistémologiques sont importantes, en particulier eu égard au dilemme entre scepticisme et idéalisme. À leur endroit, des commentateurs comme David Van Leer ont décelé une « orientation essentiellement kantienne » là où d’autres ont vu une approche aux thèmes plus 2 généralement idéalistes . Cette absence de consensus est due à l’argumentation elliptique de Emerson et à son manque de référence à Kant : toute tentative « de cerner précisément l’influence de l’idéalisme philosophique sur n’importe lequel de [ses] textes majeurs » se trouve ainsi compliquée. Ces complications n’empêchent pas Van Leer d’émettre l’hypothèse d’une relecture kantienne par Emerson, en « traitant les essais comme s’ils étaient à la fois philosophiques et organisés » et en « traduisant la langue propre à Emerson en celle plus accessible de la philosophie traditionnelle »4. Si Van Leer « tend à être moins préoccupé que la plupart des commentateurs par l’identification des sources de la pensée de Emerson », c’est parce que son « interprétation hypothétique veut seulement réfuter l’idée selon laquelle Emerson ne peut pas être lu sérieusement en tant que philosophe »5. Pour évaluer si cette hypothèse tient, il est nécessaire de reconnaître que « ce que nous voulons déterminer n’est pas la familiarité de Emerson vis-à-vis des concepts kantiens ou même sa “connaissance” de ces derniers, mais seulement sa “compréhension” de ces concepts ». Or, sous cette perspective, « toute étude de la genèse de [sa] pensée s’avère non pertinente »6. Si, d’après les propres lumières de Van Leer, son hypothèse est validée ou invalidée par la lecture émersonnienne des concepts kantiens, alors il faut tout d’abord identifier cette lecture. À cette fin, notre étude doit accepter les termes posés par Van Leer, c’est-à-dire mettre entre parenthèses les considérations autour du style de Emerson et de ses sources et adopter charitablement à leurs propos, les positions de Van Leer7. Notre attention peut alors se porter sur la discussion engagée par 1 2 3 4 5 6 7 3 Stanley Cavell a joué un rôle essentiel dans ce processus de réhabilitation. Cf. S. Cavell, Emerson's Transcendental Etudes, Palo Alto (Californie, Etats-Unis), Stanford University Press, 2002. D. Van Leer, Emerson's Epistemology. The Argument of the Essays, Cambridge, New York, Melbourne, Cambridge University Press, 1986, p. 29 (désormais cité Epistemology). À l’opposé, Kenneth Winkler soutient dans ses « Isaiah Berlin Lectures » que l’idéalisme de Emerson doit plus à Berkeley et à ses lecteurs écossais : Hume, Thomas Reid et Dugald Stewart. Cf. K. Winkler, “A New World: Philosophical Idealism in America, 1700 to 1950: Lecture III” [pdf], URL = , 2012, p. 18-27 (désormais cité Lectures). Winkler doit ici être remercié pour avoir autorisé l’utilisation de son texte. Cavell, quant à lui, occupe une position intermédiaire : l’« accomplissement » kantien prépare le terrain pour le romantisme. Cf. “Emerson, Coleridge, Kant: Terms as Conditions” in S. Cavell, Emerson's Transcendental Etudes, op. cit., p. 59-82, en particulier : 61-3. Van Leer, Epistemology, op. cit., p. x. Ibid., p. xiv, xii. Ibid., p. xii, xiv. Ibid., p. 6. Sur ces considérations de style et de sources, cf. R., Goodman, "Transcendentalism", The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Fall 2015 Edition), Edward N. Zalta (ed.), URL = .); R. Wellek, “Emerson and German Philosophy” in The New England Quarterly, Vol. 16, N. 1, 1943, p. 41-62; S. Harvey, Transatlantic Transcendentalism. Coleridge, Emerson, and Nature, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2013, p. 1-15; Winkler, Lectures, op. cit., p. 1-8. Sur les réponses et les erreurs méthodologiques, cf. respectivement Van Leer, Epistemology, op. cit., p. 3-5 et 6-8. Emerson à l’égard de deux innovations kantiennes mentionnées dans son œuvre : l’idéalisme transcendantal et les facultés. Compte tenu de l’étendue des écrits de l’auteur, il est nécessaire de définir les limites de notre étude. Celle-ci se concentrera donc sur le traitement réservé par Emerson à l’idéalisme et aux facultés dans son écrit de 1836 : Nature8. Si notre étude estime que la compréhension émersonnienne de l’idéalisme diffère parfois de l’idéalisme transcendantal de Kant — en particulier à propos du statut de la réalité objective —, elle trouve que sa lecture des facultés est plus étroitement en accord avec les fonctions kantiennes d’entendement, raison et intuition, quoiqu’avec une modification importante. Par conséquent, cette étude soutient avec Winkler que l’interprétation hypothétique de Van Leer est à la fois de manière interprétative, incomplète et de manière constitutive, invérifiable.


Bibliographic reference |
Burks, Deven. Une impossibilité en or” - La lecture émersonienne de Kant . In: Sophie Grapotte, Mai Lequan et Lukas Sosoe, Kant et les penseurs de langue anglaise, Vrin : Paris, FR 2017, p. 145-162 |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078/200881 |