Deridder, Marie
[UCL]
Dans un monde globalisé, la transformation du complexe développementiste s’est profondément accélérée cette dernière dizaine d’années. Celui-ci est marqué notamment par une internationalisation de la prise de décision politique et un processus d’harmonisation des cadres légaux nationaux, une bureaucratisation et une ‘managerialisation’ galopante du secteur, une transformation des discours, du jargon développementiste et autres ‘buzzwords’ (Cornwall & Eade, 2010), une technicisation et une dépolitisation des enjeux de développement, une diversification des acteurs impliqués, une injonction croissante à leur professionnalisation, à plus d’efficacité, plus d’efficience, plus de pertinence, plus de qualité, sous couvert d’une bonne gestion des deniers publics en contexte d’austérité. S’en suit une succession de réformes des cadres et des lois régissant la coopération au développement ayant un impact direct sur les acteurs non gouvernementaux. Les pouvoirs publics se positionnent comme régulateur de l’action de ces derniers qui perdent, progressivement, leurs droits à la diversité, à l’hétérogénéité, à l’autonomie et à l’indépendance. Vu ce contexte singulier, enquêter sur la fabrique des politiques publiques cadrant et contraignant la coopération non gouvernementale est incontournable. En s’ancrant dans l’étude de deux réformes de la Coopération belge au développement, cette communication propose une réflexion sur les enjeux épistémologiques posés par la réalisation d’un terrain ethnographique au sein du complexe développementiste et de ses institutions. En privilégiant une perspective anthropologique sur les représentations, les pratiques et les stratégies d’acteurs qui se déploient à l’intérieur des organisations (Abélès, 2011) et qui sous-tendent la fabrique d’une politique publique, il s’agit d’une approche originales par rapport aux études des institutions proposées par la sociologie, les sciences politiques, le droit et l’économie. Toutefois, s’engager sur ce terrain implique de revoir la posture du chercheur ainsi que les codes et les savoir-faire liés à l’enquête ethnographique et fait écho aux transformations contemporaines de l’objet de l’anthropologie. Cette communication se propose d’approfondir les questionnements suivants. La distance au terrain et la construction de l’altérité historiquement associée au sentiment d’étrangeté et à l’exotisme doivent être appréhendés autrement. La double posture d’insider et d’outsider ainsi que le regard distancié du chercheur sont challengés par un rapport d’interlocution singulier avec des interlocuteurs instruits partageant un certain nombre de référents culturels – voir parfois de points de vue idéologiques et d’engagements – avec le chercheur. L’enjeu de l’accès au terrain se trouve également bousculé. Le chercheur oscille entre, d’une part, une ouverture partielle grâce à la circulation rapide de l’information à l’ère du numérique et des stratégies de communication des institutions produisant, en permanence, une série de discours sur elles-mêmes visant à visibiliser certains pans de l’action politique et à produire une certaine homogénéité apparente de l’institution. Et, d’autre part, un accès au terrain plus ou moins restreint, plus ou moins évanescents, que sont les coulisses et l’arrière-scène de la fabrique du politique, poussant le chercheur à constamment naviguer dans le clair-obscur (Dematteo, 2011). Dans ce cadre, un travail de déconstruction, une vigilance accrue du chercheur ainsi qu’une réflexion épistémologique en constant renouvellement semblent essentiels.
Bibliographic reference |
Deridder, Marie. "Avancer à visage découvert": enquêter au sein du complexe développementiste et de ses insitutions. Quels enjeux épistémologiques?.Colloque - Le développement revisité. Regards croisés: intergénérationels, interdisciplinaires et interrégionaux (Louvain-la-Neuve). |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/192181 |