Degavre, Florence
[UCL]
La litterature sur le genre des Etats sociaux s’est intéressée à l’impact inégalitaire des politiques sociales sur les hommes et les femmes et sur les rapports de pouvoir entre eux [Daly and Rake, 2003: 12]. Le degré de « women-friendliness » des Etats sociaux a trouvé une jauge efficace dans le concept de « défamilialisation » [Lister, 1994, 2003; Bambra 2007] qui cible « le degré auquel des individus adultes peuvent soutenir un standard de vie socialement acceptable, indépendamment des liens familiaux, soit à travers le travail rémunéré soit à travers les transferts sociaux » [Lister, 1994:32], ou plus spécifiquement « le point auquel un Etat social permet aux femmes de survivre en tant que travailleuses indépendantes et diminue l’importance économique de la famille dans la vie des femme » [Bambra, 2007: 327]. Dans les deux cas il est fait explicitement appel à l’action libératrice de l’Etat ou du marché (du travail). Une des interrogations majeures que les féministes ont adressé à l’Etat est de savoir si –en tant qu’un ensemble de politiques sociales et de droits- il rendait possible pour les femmes (célibataires, épouses, mères ou filles) l’autonomie financière [Lewis, 1997]. Aussi les typologies construites à partir de ce concept dans le but de caractériser la dimension genrée des Etats reflètent-elles le postulat que les politiques sociales doivent être émancipatoires . Il s’agit bien à la fois d’examiner l’accès des femmes à l’indépendance économique et de les libérer des charges liées à la famille [Kröger 2009 : 9]. Si l’on suit l’esprit qui a prévalu à la naissance du concept, des niveaux élevés de défamilialisation sont atteints à travers un meilleur accès des femmes à la fois au travail rémunéré et aux services (ou transferts sociaux) de care. Des niveaux bas, voire nuls, sont atteints lorsque les politiques sociales sont telles qu’elles encouragent de fait les femmes à renoncer au travail rémunéré pour faire du care (sans contrepartie en transferts financiers). Esping-Andersen [1999] suggère que des niveaux élevés de défamilialisation sont atteints lorsque le bien-être des familles et les responsabilités de care sont pris en charge par les prestations assurées par l’Etat (Welfare provision) et/ou par le marché (market provision). Cet ensemble théorique, qui a indéniablement renouvelé le savoir sur les politiques sociales, doit néanmoins être confronté à un regard critique. En effet, l’intensité avec laquelle les régimes de care “défamilialisent” ou non a été examinée prioritairement du point de vue des aidant-e-s proches mais trés peu du point de vue des personnes aidées ou encore du point de vue des professionnelles de l’aide à domicile. Pour les personnes aidées, des enjeux d’autonomie vis-à-vis de la famille sont également présents: les transferts monétaires offrent la possibilité de choisir la forme professionnelle du care plutôt que la famille et de dépendre moins de la volonté et de la disponibilité de l’entourage ou au contraire, d’être en mesure de “réciproquer” par l’argent l’aide reçue (Grootegoed, Knijn & Da Roit, 2010). Du point de vue des professionnel-les de l’aide à domicile, les enjeux de défamilialisation sont liés au fait que le travail rémunéré dans le secteur formel de l’aide permet trés difficilement d’attenindre un “niveau de vie socialement acceptable”, qui constitue pourtant le coeur de la définition de la défamilialisation. Dans notre exposé, nous discuterons du potentiel de défamilialisation des réformes survenues dans l’aide à domicile dans plusieurs pays européens depuis les années 1990. Nous verrons que l'effet défamilialisant des politiques de care ne peut pas être décrit comme uniforme entre et dans les pays et qu’il y a lieu de parler de « mondes différents de la défamilialisation ».
Bibliographic reference |
Degavre, Florence. Les différents mondes de la défamilialisation.Les conséquences des réformes dans le domaine du care aux personnes dépendantes en Europe (2000-2010).Séminaire « Normes de genre, égalité, émancipation » (Nantes, 28/01/2013). |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/154313 |