Degrande, François
[UCL]
L’article se penche sur les métaphores de la faim dans le discours des commentateurs sportifs et des entraîneurs, et dans l’attitude des joueurs durant la coupe du monde au Brésil en 2014. À l’heure où l’on érige en idéal le modèle type du joueur de foot qui « a faim » dans un pays –le Brésil– qui ne connaît pas la faim (?) et dans lequel tout le monde joue, on se souviendra d’une des prémisses de l’anthropologue du jeu Roger Caillois dans Les jeux et les hommes (1967): qui a faim ne joue pas. Une alternative est proposée : qui a faim ne joue pas, ou pratique l’antijeu. S’ensuit une analyse du geste désespéré du cannibale uruguayen du Mondial, Suárez, et de la réaction de la victime, Chiellini, qui dé-métaphorise l’expression « mordu du foot ». L’article propose un recours à l’anthropologie pour analyser le geste de Suárez et la sanction de la FIFA. Dans Tristes tropiques (1955), Claude Levi-Strauss oppose deux types de société. D’un côté, on trouve les sociétés qui pratiquent l’anthropophagie, c’est-à-dire, celles qui « voient dans l’absorption de certains individus détenteurs de forces redoutables le seul moyen de neutraliser celles-ci, et même de les mettre à profit ». D’un autre côté, des sociétés comme la nôtre, préfèrent expulser l’ennemi du corps social (cfr.anthropémie) ; c’est ce qu’a fait la FIFA en excluant Suárez de la sphère du jeu. La manière de traiter le problème Suárez depuis le point de vue institutionnel révèle que la FIFA a décidé d’hurler avec les loups et de blâmer Suárez sans lui offrir des pistes thérapeutiques concrètes. Or, le coup de griffe de la pointe de l’attaque uruguayenne, plus qu’un geste que les psychanalystes pourraient rapprocher des conduites d’incorporation pathologique, pourrait bien ressortir à un retour vers les « formes positives de l’anthropophagie » (Claude Levi-Strauss). Avec un peu d’imagination, on pourrait presque lire dans le geste de Suárez les symptômes d’une certaine famine au Brésil (chez les footballeurs ?). Pour cette raison, l’article suggère que la FIFA aurait pu étouffer l’affaire…


Bibliographic reference |
Degrande, François. Du ballon rond au ventre plat: les joueurs ont faim. In: M...Belgique, Vol. 17, no.17, p. 40-43 (du 4 au 10 juillet 2014) |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/153831 |