Lambotte, François
[UCL]
Hambursin, Christine
[UCL]
Partant d’une revue de la littérature sur les thématiques croisées de la communication interne et du changement, cette communication met en avant les décalages apparents entre une approche managériale et une approche sociologique du changement organisationnel. La recherche présentée se déroule en deux phases. Dans un premier temps, elle part des définitions classiques du changement et des différentes phases du changement d’auteurs tels que Lewin (1947), Isabella (1990), Meier (2007). Brièvement, Lewin définit les phases du changement de la manière suivante. La première phase, unfreeze, implique que l’annonce d’un changement modifie les schémas de référence habituels des acteurs. La deuxième, move, met en place de nouveaux schémas, de nouveaux modèles qui seront figés dans la dernière phase, celle du freeze. Malgré la linéarité et la causalité de cette conception du changement, de nombreux auteurs se basent encore sur cette répartition en trois phases dans leur analyse du changement. Sous des appellations différentes, nous retrouvons chez Armenakis (2002) la préparation (readiness), l’adoption et l’institution et chez Vandangen et Derumez (1998) la maturation, le déracinement et l’enracinement. Outre la temporalité du changement, ces auteurs mettent également en avant des éléments qui jouent un rôle clef en période de transition. Différents facteurs critiques sont repris tels que le rôle des rumeurs en situation de changement (Bordia, et al., 2006), l’influence du supérieur direct dans l’acceptation interne du changement (Guest, Hersey, Blanchard, 1977 ; Richardson, Denton, 1996 ; Morillon, 2006), la participation dans le processus de prise de décision (Giangreco, Peccei, 2005 ; Dent, Goldberg, 1991 ; Dupuy, 2004). Notre objectif est de mettre en évidence le rôle joué par ces différents facteurs critiques dans les différentes phases du changement, mais également la manière souvent uniforme et homogène dont ils sont abordés par ces auteurs. En effet, cette première phase de la recherche, met en avant une vision normée, très managériale, du changement où les considérations pour l’humain, le bien-être au travail sont peu abordées. De plus, le rôle de la communication interne y est abordé de manière très générale et superficielle (Richardson, Denton, 1996 ; Armenakis, Harris, 2002), se réduisant à un ensemble de normes à appliquer en situation de changement, notamment en sollicitant une « implication » et une « motivation » toujours plus importante chez les employés, notamment en période de changement. Les modèles de gestion du changement ont, en somme, très peu évolué depuis 1947 malgré une production de recherche très importante à ce sujet. Ils reposent majoritairement sur une idéologie managérialiste, à savoir une rationalité technique ou instrumentale prédominante (Deetz, 1992). Par ailleurs, la normativité avec laquelle la communication sur le changement est abordée nous paraît être en décalage avec la manière dont l’individu se situe dans son rapport au travail et dans la société de manière générale. Dans le second temps de cette recherche, nous constatons que les entreprises évoluent aujourd’hui dans un environnement de contestation permanente. Un climat de méfiance général s’étant progressivement installé provenant autant des acteurs externes que des acteurs internes. En effet, ce « retour du doute voire de la méfiance génère une relation distanciée des salariés à l’égard de leur entreprise» (Libaert, d’Almeida, 2004). Ce sont d’ailleurs les mots « inquiétude » et « stress » qui sont les plus utilisés par les salariés français pour définir leur rapport au travail (Libaert, Westphalen, 2009). Cette méfiance se traduit par les résistances visibles et les luttes moins visibles qui se mettent progressivement en place. Elles recouvrent notamment l’absentéisme, les freinages de production, les pétitions et le refus des heures supplémentaires (Bonnet, 2008). Des actions qui prennent en quelque sorte une « allure de conflits du silence, de conflits de l’ombre » (Groux, 2009, p.175). Mais ces résistances traduisent également le fait que le travail n’occupe plus nécessairement la place centrale dans l’existence des individus (Thévenet, 2000). Les trois pôles centraux restent la famille, le logement et le travail mais il n’est plus lieu de les considérer de manière exclusive ou interdépendante (Aubert, De Gaujelac, 1991). D’autant plus que ce rapport traduit moins un rapport au travail comme dans le passé mais plutôt un rapport à l’emploi. Une transition qui se marque par un changement de valeurs avec une augmentation des valeurs hédonistes et individualistes qui place la vie privée des employés en priorité dans leurs préoccupations (Libaert, Westphalen, 2009). Ce qui s’explique notamment par le fait que les besoins des individus ont évolué, particulièrement les plaisirs hors du temps de travail. Deux perspectives antinomiques de la relation au travail s’affrontent donc. Malgré la focalisation d’un discours managérial, très instrumental, sur une motivation et une implication presque « totale » des employés pour leur entreprise, l’effet sociétal souligné nous montre une implication et une adhésion plutôt raisonnée de la part des individus envers leur entreprise. Une adhésion raisonnée, de façade, qui se rapproche davantage d’une implication organisationnelle calculée (continuance commitment) (Allen, Meyer, 1997). Cette forme d’implication est particulière dans le sens où l’employé analyse la cohérence entre ses buts, ses valeurs et ceux de l’organisation. C’est donc une comparaison entre les coûts et les bénéfices que l’employé retire de son implication dans l’entreprise et les coûts et les bénéfices que l’employé aurait en mettant un terme à sa relation avec l’entreprise (Thévenet, 1992). Loin d’une adhésion « totale », l’individu se situerait dans une implication « raisonnée » envers son travail, son entreprise. Ce décalage entre un discours centré sur des normes anciennes et l’évolution de l’individu dans son rapport au travail et sa place dans la société pose d’autant plus question que ces modèles classiques dominent les formations en management et en gestion du changement et accentue le fossé entre l’entreprise, sa direction et son « capital précieux » (Weil, 1990). D’un point de vue pratique, nous tenterons enfin de mettre en évidence les pistes alternatives à ces modèles de gestion et de communication en changement.


Bibliographic reference |
Lambotte, François ; Hambursin, Christine. Normes de communication en changement et rapport au travail: analyse des décalages.In: Communiquer dans un monde de normes. L'information et la communication dans les enjeux contemporains de la mondialisation, Vol. 1, no.1, p. 108-119 (2013) |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/138127 |