Lejeune, Anaël
[UCL]
Cette étude porte sur les termes dans lesquels la notion de sculpture s’est conjointement trouvée problématisée et conceptualisée aux États-Unis dans la pratique et les écrits de quatre artistes œuvrant au lendemain immédiat de l’avènement du minimalisme sur la scène artistique new-yorkaise au milieu des années 1960. Il s’agit de Mel Bochner, Robert Morris, Richard Serra et Robert Smithson. Sur base d’une étude menée au niveau de leurs pratiques et discours, nous avons en effet constaté comment la question du medium sculptural s’est trouvée réarticulée à partir de la dialectisation ou mise en tension de deux modalités d’appréhension de l’objet que sont, d’une part, la vue surplombante et totalisante, le géométral, et de l’autre, sa perception fragmentaire et contingente au sol, le profil, notamment thématisé à partir du motif de la vue perspective comprise en son sens pictural. Par un retour vers le contexte historique d’apparition de ce recodage, il fut alors possible de cerner les conditions qui y avaient présidé, les nécessités auxquelles il avait répondu, à savoir le modèle sculptural postulé par la théorie formaliste moderniste et la nature de la réponse que lui opposèrent les minimalistes par la voix de Robert Morris.
Par ailleurs, l’étude de l’émergence de ce nouveau modèle sculptural n’aurait pas été complète si elle n’avait été assortie de l’hypothèse que celui-ci ait essaimé plus largement dans le domaine artistique. Il s’est donc également agi de repérer la figure de ce modèle ou la marque de ses effets ailleurs que dans le strict espace de la réflexion sculpturale. Or, deux enjeux ont entretenu un lien direct avec cette nouvelle modalité de compréhension du fait sculptural. Le premier concerne l’émergence chez Mel Bochner du paradigme conceptuel, dont la tendance à substituer à l’objet d’art sa seule proposition langagière (ou ici sa formule arithmétique) peut bien apparaître comme l’envers exact des tentatives d’ordre sculptural d’en prévenir toute constitution au détriment de l’expérience sensible. Le second porte sur le questionnement de l’œuvre d’art à l’aune de son contexte institutionnel d’exposition, social et économique, qui a favorisé, chez Robert Morris notamment, un investissement de la dialectique plan-profil en termes de contrôle et de pouvoir.
Soulignons encore qu’en cherchant à saisir la sculpture à partir des formes qu’elle revêt et des réflexions ou formulations écrites qui s’y adossent, pour remonter ensuite vers sa problématisation ou conceptualisation, cette étude entend également rendre sensibles certains des processus par lesquels s’élabore une forme de théorie à l’œuvre. Car en réfléchissant à la nature de leur médium à travers leurs œuvres, ces artistes constituaient bien ce médium comme un objet de pensée et contribuaient ainsi, en acte, à la définition du concept de leurs propres médium et pratique. Concomitamment, et dans la perspective directe de notre projet de Chargé de Recherches, nous avons été amenés à envisager certains domaines de pensée extrinsèques à la réflexion artistique que les artistes ont pu convoquer à l’appui ou en renfort de leurs propositions théoriques, et singulièrement certains travaux issus de la philosophie dite « continentale », et en particulier les écrits de Maurice Merleau-Ponty et de Michel Foucault.


Bibliographic reference |
Lejeune, Anaël. Perspective et Géométral. Problématisation de la sculpture aux Etats-Unis - 1966-1973. Les Presses du Réel : Dijon (2014) (ISBN:978-2-84066-692-9) 368 pages |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/137342 |