Musin, Aude
[UCL]
Les ducs de Bourgogne ont développé aux Pays-Bas, sur base du modèle français, la pratique de la grâce princière en matière criminelle : le souverain pouvait accorder son pardon à l’auteur d’un crime ou d’un délit, arrêtant ainsi le cours ordinaire de la justice. Ce pouvoir de grâce est une facette de la justice d’Ancien Régime qu’il convient de ne pas négliger, car il constitue une des seules possibilités pour le pouvoir central d’intervention dans la poursuite des criminels. Cette procédure de pardon princier a connu son essor sous le règne de Charles Quint. Dans le même temps, le prince entendait s’imposer comme le seul détenteur du pouvoir de pardonner, et donc tendait à supplanter progressivement les formes de grâce concurrentes, exercées par différents acteurs judiciaires (officiers de justice princiers, justices urbaines, seigneurs hauts justiciers). Dans l’ordonnance criminelle de 1570, le droit d’octroyer une grâce à un criminel fut ainsi proclamé monopole du souverain. Ce texte interdit la pratique judiciaire de la composition, forme de grâce exercée par les officiers de justice, lesquels négociaient avec l’auteur d’un crime l’abandon des poursuites moyennant paiement d’une certaine somme d’argent. Le même texte entendait encadrer les grâces accordées par les seigneurs détenteurs du droit de juger les criminels, souvent trop prompts à pardonner, lorsque les ordonnances princières tendaient à limiter drastiquement les circonstances faisant d’un crime un acte sujet à pardon. En outre, ces seigneurs furent tenus de prouver leur légitimité à exercer ce droit auprès des officiers fiscaux des conseils provinciaux. Ces derniers devinrent en effet les relais privilégiés du pouvoir central concernant le respect du monopole princier en la matière. Les archives du Conseil provincial de Namur recèlent plusieurs procès entre le procureur général du Conseil et des seigneurs hauts justiciers ou officiers de justice du prince, dans lesquels l’officier fiscal a poursuivi les grâces accordées indûment par ceux-ci. Ces procès permettent d’appréhender les résistances des pouvoirs locaux face à la volonté princière de monopoliser le pouvoir de pardonner à son profit, et le rôle joué par le niveau provincial en termes de défense des intérêts et des droits du prince. L’analyse des différentes pièces de procès permet de déterminer jusqu’à quel moment et sous quelles formes un pouvoir de grâce coexiste avec celui du souverain. Les observations constatées permettent d’affiner la compréhension du processus de monopolisation du droit de grâce par le souverain comme moyen d’affirmer son autorité sur les populations, la chronologie et les modalités de ce processus. Cette analyse touche à la fois à l’histoire institutionnelle (interactions entre les différents niveaux de pouvoirs judiciaires), à l’histoire de la criminalisation de la violence (car la grâce est accordée essentiellement aux homicides) ou encore à l’histoire politique (la grâce participant d’une volonté claire de centralisation de la justice au profit du prince, dans le cadre d’un Etat en construction).
Bibliographic reference |
Musin, Aude. Les procès devant le Conseil provincial de Namur en matière de grâce : une fenêtre ouverte sur la monopolisation du droit de pardonner dans les anciens Pays-Bas, XVIe-XVIIIe siècles.L’affaire est dans le sac. Dossiers de procès d’Ancien Régime et perspectives de recherche historique (Bruxelles, 11/03/2013). |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/135839 |