Debruyne, Emmanuel
[UCL]
Pendant la Grande Guerre, les communautés occupées en France et en Belgique attendent de leurs membres qu’ils maintiennent une « distance patriotique » vis-à-vis de l’occupant. Pour les tenants de cette posture, malmenée à bien des égards par les réalités de l’occupation, les relations charnelles avec les soldats ennemis, en réduisant à zéro cette distance, tant physiquement que symboliquement, constituent la transgression absolue. D’un côté, une société vulnérabilisée par l’occupation et déséquilibrée par le départ pour la guerre de nombreux hommes, qui sont désormais de l’autre côté du front. De l’autre, un ensemble de mâles, forts de leur statut de dominateurs, mais fragilisés par l’éloignement de leurs foyers et par la peur permanente d’être conduits à la mort. Dans ce climat de détresses morales, l’amour peut faire son apparition entre occupées et occupants, généralement sans lendemain, mais pas pour autant sans conséquences. La prostitution en tout cas pullule, alimentée par la misère croissante qui sévit en pays occupé. Les filles de joies d’avant-guerre sont concurrencées par de nouvelles arrivantes, souvent occasionnelles. Dès 1915, l’armée allemande s’inquiète de la propagation rapide des maladies vénériennes que pourrait provoquer cette situation. Elle multiplie les contrôles et impose aux femmes contaminées, qui se comptent par centaines, et bientôt par milliers, de subir un traitement médical. Prostituées ou non, saines ou contaminées, les « femmes à Boches » subissent la réprobation de la société occupée. Ostracisées et parfois menacées sous l’occupation, elles vont être victimes de violences à la libération. A l’automne 1918, les tontes publiques accompagnent la libération du territoire. C’est un après-guerre amer qui commence pour ces femmes, notamment pour celles qui vont devoir élever seule l’« enfant du Boche ». Sur base des avancées historiographiques de ces quinze dernières années et de recherches en cours, cette communication se propose d’esquisser un tableau d’ensemble du phénomène, et d’interroger quelques indicateurs quant à sa répartition dans le temps et dans l’espace des sociétés occupées.


Bibliographic reference |
Debruyne, Emmanuel. Occupations charnelles. Les relations intimes entre occupants et occupées. Belgique et France, 1914-1918.Gender en oorlog / Genre et guerre (Bruxelles, 12/11/2013). |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/135061 |