Mathey, Estelle
[UCL]
L’invention du phonographe et du gramophone ont conduit à une objectivation du son, saisi comme isolat acoustique. La manipulation et la réécoute permises par le dispositif ont ainsi participé au développement d’une écoute aurale, focalisée sur la perception de l’objet sonore, catalyseur d’émotions sur lesquelles une maîtrise peut s’exercer (Maisonneuve). Chez certains écrivains de la première moitié du XXe siècle, s’observe un retour à une approche cratylique du langage, qui témoigne de l’attrait pour le mot perçu comme objet sonore avant qu’il soit engagé dans la signification. L’œuvre de Michel Leiris reflète cette fascination pour le versant sonore du langage, approché selon un mode d’écoute active semblable à celle requise par le dispositif du phonographe. C’est en effet sur ce mystérieux appareil que s’ouvre le cycle de La Règle du jeu : mais outre sa présence au niveau thématique, celui-ci contamine également l’énonciation en déterminant un mode d’approche du réel. En effet, l’émergence du souvenir et le déploiement de la mémoire du narrateur tendent à rejouer les effets de circularité et de complétude de l’écoute contrôlée permise par le phonographe. Les mots « … reusement », « tetable », ou encore « paranroizeuses » résonnent comme des énigmes qui fascinent le narrateur et mobilisent l’imaginaire qui tente de les écouter et de les repenser a posteriori pour percevoir le potentiel signifiant de leur concrétude. L’écoute aurale amorce un retour à l’état d’indifférenciation du langage, avant la découpe symbolique opérée par l’écriture, et ramène le narrateur au moment mythique d’une communion avec une masse sonore unitaire. L’alphabet est ainsi « quelque chose qu’on tient dans sa bouche […], un mot concret, […] qui remplit d’un contenu perceptible la cavité comprise entre la gorge, la langue, les dents et le palais. » (Leiris) Le narrateur de Biffures revient au stade vocal (Delbe), où le plaisir pulsionnel sonore domine, pour explorer ses souvenirs par le biais du signifiant des mots.
Bibliographic reference |
Mathey, Estelle. From Phonograph to Vocal Stage : Aural Listening in Biffures of Michel Leiris.Listening to Literature, 1900-1950 (KUL, du 12/03/2014 au 14/03/2014). |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/134730 |