Un style prophétique. D'un imaginaire présidant à l'histoire des Éditions de Minuit

Depuis leur création, les auteurs des éditions de Minuit, implicitement ou explicitement, cherchent à se positionner dans le flux d’une avant-garde perpétuelle. Comment cependant maintenir ce flux, sinon en adoptant une posture qui se veuille prophétique ? Or, l’on sait, depuis les travaux de Jérôme Meizoz, que la posture se déploie de conserve dans les paratextes et dans les textes littéraires stricto sensu, c’est-à-dire également au cœur même du style de chacun des écrivains de la maison Minuit. La pratique du discours de résistance au discours de l’idéologie dominante, héritée de la fondation même des éditions (la Résistance), fait écho au genre apocalyptique, c’est-à-dire un genre littéraire qui récuse l’idéologie dominante au profit d’un contre-pouvoir. Le « devoir d’insoumission » relevé par Anne Simonin participe pleinement d’un phénomène postural. Est-ce un hasard si le seul livre publié par Jérôme Lindon dans sa propre maison soit la traduction de Jonas ? Les concepts de style prophétique et de posture permettent de mettre en évidence l’alliance entre le souci de renouvellement esthétique et l’adhésion à des valeurs éthiques. L’apparente très grande diversité des auteurs Minuit peut donc être abordée selon un seul et même angle qui puisse subsumer les époques et les singularités. L’on peut distinguer trois grandes périodes : de 1942 à 1953, de 1953 à 1979 (la grande période du Nouveau Roman, avec Jérôme Lindon à la tête des éditions), de 1979 à aujourd’hui (à partir de la publication du Méridien de Greenwich par Jean Échenoz). Chacune des époques sera le lieu d’un régime postural spécifique, mis en lumière par les exemples successifs de Vercors, de Paul Eluard, de Robert Pinget, de Marguerite Duras, d'Antoine Volodine et de Jean-Philippe Toussaint.