Van Eeckenrode, Marie
[UCL]
Les fonds d'Ancien Régime reposant aux Archives de l'État depuis bien longtemps, parfois mal inventoriés, voire dépourvus d'instrument de recherche digne de ce nom, n'ont pas fini de livrer leurs richesses. Dernier exemple en date, aux Archives de l'État à Louvain-la-Neuve...
Dans le sibyllin inventaire des greffes scabinaux de l'arrondissement de Nivelles (dits GSN), le n°5935 est décrit comme contenant des pièces de procès, sans autre mention ; en réalité, une de ces boîtes de "varia", de "queue de fonds", composée de documents retrouvés ça et là, brefs des accroissements aux accroissements. Elle semble à première vue contenir exclusivement des documents issus de l'exercice de la juridiction contentieuse à Jodoigne : sentences de la Haute Cour, procès-verbaux de visites judiciaires des échevins en franchise ou extraits du rôle aux causes des alloyers, etc., tous datant des 17e et 18e siècles.
Mais, au beau milieu de ces documents, le regard est immédiatement attiré par un cahier de papier, d'une quinzaine de folios, couverts d'une écriture de la fin du 15e siècle. Une pièce de procédure ? Vraisemblablement pas. La collection des GSN ne contient aucun document judiciaire jodoignois d'avant la fin du 16e siècle (et ceux-ci viennent d’être inventoriés). Il s'agit en fait d'un document comptable (des dépenses), dont il manque le début. Pas de titre, aucune date ; pour identifier clairement la nature de ce compte, il faudra analyser entièrement son texte.
La ville de Jodoigne s'impose rapidement : certaines dépenses sont faites a l'ordonnance des eschevins de la ville de Jodoigne, leurs déplacements à Louvain ou Anvers y sont remboursés. A Jodoigne, la comptabilité urbaine est tenue par deux receveurs, appelés bourgmestres. A deux reprises d'ailleurs, des frais sont remboursés aux hommes ayant occupé ce poste un ou deux ans auparavant (nettoyage des rues et présent de vin), sommes qu'ils ont à l'époque oubliées de mentionner dans leur comptabilité. A savoir qu'un seul compte de la ville de Jodoigne est parvenu jusqu'à nous pour le 15e siècle (celui de l'année 1489-1490 : AGR, Chambres des Comptes, n°31.182) et seulement 3 pour le 16e siècle.
Le document ne portant pas de date, il a été nécessaire de croiser des informations disséminées dans le texte :
Marguerite d'York, troisième épouse de Charles le Téméraire, décédée en 1503, y est citée sous son surnom de Madame la Grande.
Maximilien de Habsbourg, époux de Marie de Bourgogne et père de Philippe le Beau, y est qualifié de Roi des Romains (c'est-à-dire, successeur désigné de l'Empereur), titre qu'il porte à partir de 1486.
Jacques de Glymes, chevalier, seigneur de Wastine et de Ham-sur-Lesse, y est cité comme bailli du Roman Pays de Brabant, fonction qu'il occupe entre 1470 et 1497.
Au moment où cette comptabilité est rédigée, ont autorité sur les Pays-Bas (et ici en l’occurrence sur le Brabant) Philippe et son père le Roi des Romains : on est donc entre 1482 (mort de Marie de Bourgogne) et 1494 (année où Philippe le Beau succède à son père dans les principautés des Pays-Bas).
On se trouve donc quelque part entre 1486 et 1494. Mais il est encore possible de resserrer la fourchette chronologique. Un article de remboursement tardif vient encore une fois à notre secours. Pierre Damas et Willaume Pire y sont remboursés pour un présent de vin réalisé l'année précédente alors qu'ils étaient bourgmestres de Jodoigne. Hors, ces deux hommes sont justement ceux qui rendent le compte de l'année 1489-1490 conservé aux AGR ! On serait donc en présence d’un fragment du registre comptable des bourgmestres de Jodoigne pour l’année comptable 1490-1491. Information confirmée par la mention de Thierry Le Bègue comme trésorier des finances, poste qu’il occupe en 1490-1491.
Le document comptable coté AÉLLN, GSN, n°5935 peut donc être décrit comme suit : fragment du compte rendu par les bourgmestres de la ville de Jodoigne, pour l'année 1490-1491 (fin du chapitre des dépenses).


Bibliographic reference |
Van Eeckenrode, Marie. Un compte de la ville de Jodoigne datant du XVe siècle retrouvé. (2010) |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/109743 |