Bihl, Julia
[UCL]
Alors qu’Internet offre de nouvelles opportunités d'apprentissage et pourrait renforcer l’émancipation sociale, les recherches récentes démontrent plutôt un accroissement des inégalités numériques (Granjon, 2009; Hargittai, 2002; Kiyindou, 2009; Livingstone & Helsper, 2007). Plantard (2016) distingue quatre niveaux de fracture numérique au constat des inégalités suivantes : l’accès inégal aux ordinateurs et à Internet, l’utilisation inégale de ressources numériques entre les groupes sociaux, l’interprétation inégale de l’information provenant de cette utilisation, et enfin, la socialisation inégale qui résulte de ces pratiques numériques au sein des groupes sociaux. Pour limiter ces inégalités numériques, notre projet de recherche vise à cerner les compétences médiatiques nécessaires pour devenir media literate. Nous envisageons la littératie médiatique1 comme un ensemble de compétences impliquant la maîtrise de connaissances et savoir-faire mais aussi la sélection et la combinaison de ces éléments dans le cadre de situations complexes inédites (Rey, Carette, Defrance, & Kahn, 2006). Notre cadre théorique s’appuie sur les travaux précédents de Pierre Fastrez en distinguant les compétences selon leur appartenance aux dimensions technique, sémiotique ou sociale (Fastrez, 2010; Fastrez & De Smedt, 2012) de la recherche d’information et de la création multimédia. Notre étude porte sur des adolescents en classe de troisième secondaire (14-15 ans), en tant qu’apprenants au coeur de la situation d’apprentissage. Notre méthodologie est structurée en trois phases cumulatives. La phase 1 (2018-2019) correspond à la passation d’un questionnaire sur les pratiques de recherche d’information et de création multimédia, les compétences correspondantes autoévaluées par les adolescents, et la mesure de leur apprenance dispositionnelle (Grasset, 2016). La phase 2 (2019-2020) porte sur un échantillon distinct du premier et combine le questionnaire avec un test incluant des tâches simples évaluant les connaissances et savoir-faire prédéfinis, et une tâche complexe (produire un site web explicatif synthétisant les résultats d’une recherche d’information) impliquant la 1 définie comme « la capacité à accéder aux médias, à comprendre et évaluer de manière critique les différents aspects du média et de son contenu et à créer des communications dans des contextes variés » (Livingstone, 2003; Buckingham, 2005). mobilisation des savoirs et savoir-faire évalués en tâches simples. La phase 3 (2020-2022) intègre des entretiens explicatifs auprès d’un sous-échantillon des participants à la phase 2. La récolte des données de la phase 1 (compétences autoévaluées, pratiques et apprenance dispositionnelle) est en cours auprès d’un échantillon de 2000 élèves par pays, et sera complétée en avril 2019. La présentation permettra donc de comparer les niveaux de compétences médiatiques autoévalués avec les pratiques médiatiques correspondantes, en analysant une première corrélation avec l’apprenance. Toutefois, le coeur de la présentation portera sur l’anticipation de la phase qualitative (phase 3) lors de laquelle nous mobiliserons la sociologie pragmatique, plus particulièrement la théorie de l’enquête (Dewey, 1938) appliquée à l’analyse des compétences (Jay, 2017), afin de restituer le processus d’enquête auxquels les élèves se sont livrés lors de la tâche complexe en phase 2. Nous nous intéresserons principalement au rôle de l’apprenance (Carré, 2005) dans ce processus, en intégrant les trois pôles de ce concept : dispositions (à apprendre), pratiques (apprenantes) et situations (d’apprentissage), qui s’adossent à deux constructions théoriques majeures, l’une en sociologie chez Lahire (2013), l’autre en psychologie sociale chez Bandura (2003) (Carré, 2016). Nous chercherons notamment à analyser la relation entre le rapport à l’apprendre en contexte numérique (Collin et al., 2015) et le niveau de littératie médiatique. Les résultats de cette recherche permettront de produire une méthode de mesure multi-niveaux de la littératie médiatique adaptable selon les niveaux scolaires et les types d’activités. Sur le plan théorique, elle modélisera la littératie médiatique en articulant ses niveaux élémentaires (connaissances et savoir-faire) et avancés (compétences). Enfin, les entretiens permettront de modéliser le tryptique dispositions-pratiques-environnement générant les compétences observées et ainsi d’identifier les facteurs clés pour l’apprentissage de la littératie médiatique.
Référence bibliographique |
Bihl, Julia. La littératie médiatique au prisme de l’apprenance.LINSEC - La littératie numérique au prisme des sociologies de l’éducatione et de la culture (MMSH, Aix-en-Provence (FRANCE), du 13/06/2019 au 14/06/2019). |
Permalien |
http://hdl.handle.net/2078.1/219101 |