Lenoble, Jacques
[UCL]
Bien qu'acceptant une "auto-limitation" de la souveraineté parlementaire par la médiation du juge, Philippe Raynaud entend fustiger ce qu'il appelle la figure "post-moderne" du juge : sous couvert de son pouvoir interprétatif , celui-ci prétendrait se subordonner la "souveraineté" de l'Etat au nom du droit. Loin d'assurer un "achèvement" du projet de la modernité, une telle promotion du renforcement du pouvoir du juge en signifierait au contraire la "fin" et la "ruine" . A la conception humaniste du pouvoir définie par le rationalisme et le subjectivisme modernes, une telle valorisation substituerait une conception "angélique" du pouvoir qui, en prétendant s'affranchir de la souveraineté du pouvoir de l'Etat, placerait le juge en position d'oracle de la vérité. On quitterait ainsi le terrain proprement moderne que Hobbes avait défini en faisant de l'autorité le socle de la loi, pour s'aventurer sur les sables mouvants d'une norme fondée sur la référence à la vérité incarnée soit dans l'éthos d'une communauté particulière (figure prémoderne du juge) soit dans l'interprétation "créatrice" d'un juge suprême disant la "vérité" du droit (figure "post-moderne" du juge. Une telle conception, note Ph.Raynaud, s'avère critiquable car elle conduit soit à un traditionalisme conservateur, soit à la dérive arbitraire et antidémocratique d'un juge mis en position d'oracle. Bien plus, cette "figure post-moderne" du juge, relève encore Ph.Raynaud, ne répond à aucune nécessité théorique : la modernité elle-même recèle les concepts adéquats pour penser le rôle d'un juge affranchi des illusions de la transparence exégétique et offre des modèles politiques où le juge dispose du pouvoir de tempérer le législateur sans pour autant se mettre en position d'exception par rapport à la volonté populaire. La démocratie moderne exige que le juge ne soit là que pour "appliquer" une volonté préalable souveraine, celle du peuple. C'est dire aussi que l'Etat de droit ne peut faire l'économie du moment hobbien de souveraineté, comme le supposerait la vision "angélique" et "post-moderne" du juge.
Bibliographic reference |
Lenoble, Jacques. Le juge et la modernité. In: Le Débat, Vol. 74, p. 177ff (1993) |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/94227 |