Vielle, Pascale
[UCL]
Pour François Ewald, la sécurité sociale « est une manière pour la société de se rapporter à elle-même, une sorte de convertisseur du social en politique. Par principe, elle est au coeur du débat normatif. Mieux, elle l’organise; elle est un des lieux privilégiés où la société négocie avec elle-même (...) Dans les sociétés de solidarité, le droit, quoique selon un jeu différent, est invité à jouer un rôle politique aussi décisif que naguère l’ordre libéral » [1].
Signe des temps, d’un changement de paradigme idéologique, sans doute, trois traits caractérisent l’évolution récente du droit belge de la sécurité sociale.
1. — Si l’on s’attache au mode d’élaboration de la norme, on constate que les objectifs et principes fondamentaux du système n’ont plus fait l’objet de véritable débat parlementaire depuis de nombreuses années [2]. Et pourtant, au jour le jour, ceux-ci subissent des transformations ponctuelles par la voie réglementaire ou législative — en général sous la forme de l’insertion d’articles isolés dans des lois-programmes — qui, à terme, en ont altéré la lisibilité.
2. — L’inflation législative chaotique qui accompagne cette transformation du mode d’élaboration de la norme n’a plus fait l’objet, depuis 1985 [3], d’aucune tentative de maîtrise sous la forme exemplaire d’un Code de la sécurité sociale. D’un point de vue légistique, le droit belge de la sécurité sociale souffre de maints défauts, à l’origine d’une insécurité juridique d’autant plus inacceptable qu’elle concerne une branche du droit qui agit sur une dimension cardinale de l’existence individuelle : la disponibilité de ressources lors de la survenance de certaines éventualités.
3. — Sous un angle théorique, l’enseignement du droit de la sécurité sociale continue de reposer sur la présentation pédagogique d’un véritable « système », image d’Epinal d’une réglementation en passe de perdre son unité et sa cohérence. Les sciences sociales ont confisqué au juriste la « ré-flexion » de la sécurité sociale. Celui-ci se doit de s’atteler à la reconstruction d’une approche théorique juridique fondamentale susceptible de rendre compte adéquatement du sens que traduit l’infléchissement subi par le droit de la sécurité sociale à travers ses développements.
Mon voeu pour le droit de la sécurité sociale, à l’aube de ce nouveau millénaire : qu’avec les partenaires sociaux, le monde politique, les media et les citoyens, les juristes contribuent à restituer à la sécurité sociale sa fonction de « lieu privilégié où la société négocie avec elle-même ».
Bibliographic reference |
Vielle, Pascale. Quelle sécurité sociale pour le siècle à venir ?. In: Journal des tribunaux, , no. 5951, p. 33 (2000) |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/80898 |