Face à la disqualification, l'identité altérée des prêtres

(fre) La sécularisation a vidé la prêtrise d'une part significative de ses fonctions. Les prêtres, de moins en moins nombreux, sont rejetés symboliquement aux marges de la cités et sont privés de toute autorité prescriptive. La sécurité matérielle qui leur est garantie ne les préserve pas d'une crise identitaire rendant les propos qu'ils adressent à la cité particulièrement ambigus. Notre terrain de travail est le Hainaut, province belge reconnue en retard de développement par les autorités européennes, où les problèmes liés à l'exclusion et aux formes cumulatives de pauvreté ont pris une acuité particulière. Les interventions effectuées dans ce contexte particulier nous ont amenés à énoncer l'hypothèse, également validée par des recherches menées en Afrique, selon laquelle toute action s'enracine dans le local et est irrémédiablement moderne : le sens du social ou de l'expérience personnelle n'est plus fourni de l'extérieur, les acteurs ont à le construire, au départ des matériaux qu'ils peuvent mobiliser dans leur environnement spécifique, nécessairement local. Même les catégories de l'entendement le plus ordinaire doivent désormais faire l'objet d'un travail d'appropriation, la tradition ou le sens commun ne se subissent plus, ils sont revendiqués comme des choix autonomes.

(fre) Pareille évolution n'est bien entendu pas égalitaire, tous les acteurs ne structurent pas leur identité dans les directions valorisées par les instances qui régulent l'accès aux ressources matérielles ou symboliques. C'est aussi cette hypothèse qui a guidé une recherche sur la relation qu'entretiennent les populations avec le bâti catholique dans une ville belge profondément déchristianisée. La communication ne propose pas l'exposé des résultats de ce travail mais vise à exploiter les rencontres qu'il a permises et singulièrement les rencontres avec les religieux. Tous les prêtres en activité de cette ville ont été longuement interviewés et leurs propos expriment unanimement leur sentiment de dépossession. S'ils restent des références, ils savent qu'ils ne sont plus en rien des modèles, ce sont des "autorités" sans plus aucune autorité. Dans un monde en déliquescence religieuse et institutionnelle, ils sont à la fois respectés et relégués symboliquement aux marges de la cité, qui ne leur reconnaît plus aucune influence. Le respect ne leur est d'ailleurs accordé qu'à la condition qu'ils se maintiennent aux marges et s'abstiennent de toute intervention autre que caritative sur le social. Cette situation aporétique fonde une identité précaire et un état où ils ne sont plus guère valorisés : ils ont hérité des contraintes de leurs prédécesseurs sans bénéficier des avantages sociaux et de la reconnaissance dont ils étaient investis, les valeurs qui fondent leur choix de vie (pauvreté, obéissance, chasteté, engagement définitif) ont été démonétisées par le social ou, dans les pires des cas, inspirent désormais plus de suspicion que d'admiration. Leur situation est ainsi très ambiguë, elle relègue objectivement la prêtrise dans l'exclusion symbolique de la société, avec ce paradoxe qu'ils ne courent aucun risque d'exclusion matérielle, leur rémunération, les bâtiments du culte, leur logement leur sont garantis par un appareil légal et réglementaire très lourd. Les contradictions qu'ils vivent leur interdisent aujourd'hui d'adopter des attitudes univoques, tant à l'égard des croyants que du reste de la population : ils n'ont plus les moyens humains de célébrer dans de multiples églises quasi vides, mais ne prennent pas la décision de fermer les moins fréquentées, ils exécutent rites et sacrements pour des demandeurs qui n'en perçoivent pas la dimension religieuse, s'en désolent en privé sans oser jamais rien refuser. Leur quotidien est fait de multiples violences à leurs convictions et aux prescrits institutionnels qu'ils se sentent chargés de défendre, sans qu'ils soient en mesure d'y répondre autrement que par une attitude toujours plus compréhensive...