Deprins, Dominique
[USL-B]
Le Big Data concerne ces données massives et protéiformes, générées spontanément par la multitude des internautes de plus en plus connectés, qu’elles soient produites en temps réel ou non, depuis n’importe quel lieu de la planète. Les géants du Web (GAFA) ont inventé l’analyse de ces données volumineuses qui porte la promesse de pouvoir croiser d’innombrables sources de données qui n’avaient jamais pu l’être précédemment et d’y détecter des connexions impossibles à déceler dans des quantités plus petites. En fouillant ce magma de données à l’aide d’algorithmes auto-apprenants de l’intelligence artificielle, le Data Mining cherche à rendre ces données intelligentes et à leur donner sens ; la construction de modèles prédictifs cherchant à extrapoler de nouvelles informations, voire connaissances, à partir d’informations présentes appartient à l’Analyse Prédictive, pratique centrale du monde des data qui le tourne vers le futur dans une tentative de maitrise totale du temps. L’Analyse Prédictive est la branche de fouille des données chargée d’établir des probabilités pour tenter de prédire nos comportements et intentions futures dans tous les domaines de la vie. Par le Big Data, on nous annonce une révolution qui va transformer nos vies ; « les paisibles statisticiens – dit I. Hacking – ont changé le monde ; non pas tant en découvrant de nouveaux faits et de nouvelles techniques mais en changeant notre façon de penser, d’expérimenter et de former nos opinions ». La nouvelle statistique décisionnelle qui, avec l’arsenal informatique, va traiter ces données massives, devient dès lors un outil de gouvernement des hommes par la donnée, dans tous les champs de savoir, instaurant ainsi un régime de « sur-savoir » (F. Ewald) par son exigence prédictive. Le monde des data s’affranchit du monde du probable, et partant du probable lui-même. Le monde du probable repose sur une dysharmonie, une ignorance fondamentale que rien ne peut combler. Par ruse, il cherchera comment faire avec ce « pourquoi » des choses qui restent désormais sans réponse, sans pour autant rester dans les contradictions sans fin de l’homme moderne qui doute. Le probable consent à une dose irréductible d’incertitude ; sa particularité dans l’histoire de la pensée humaine est celle de l’idée révolutionnaire d’une domestication du hasard et d’une érosion du déterminisme (I. Hacking), ouvrant les chemins de la subjectivité. En défendant cette thèse destinée à faire la lumière sur les implications d’un gouvernement par la donnée, on peut se demander de quoi le monde des data s'affranchit précisément en s'affranchissant du probable? En tous les cas, pas de la probabilité. On peut même dire que le monde statistique du Big Data est en même temps un monde probabiliste; du dernier refuge du savoir dans le monde du probable, la probabilité se sera hissée au rang de conquérante du savoir tout en devenant un indice d’ignorance dans le monde des data. Aujourd'hui, la probabilité est plus que jamais " le guide de notre vie " comme le disait déjà l'évêque anglican Joseph Butler dès le XVIIIè siècle, un guide par lequel notre vie est conduite ; grâce aux algorithmes auto-apprenants, elle offre une prédiction d'une granularité à l'échelle de l'individu, dès lors libéré des contraintes des catégories liées aux identités de groupe ; une prédiction du futur aussi réjouissante qu'inquiétante dès lors qu'elle se révèle pouvoir être une forme très subtile, et peut-être finalement définitive, d’enfermement. Pour pouvoir comprendre ce gouvernement par la donnée, il faut aller aux fondements du monde des data et du monde du probable ; c’est dire que pour chacun d’eux, il faut chercher à en comprendre la logique formelle propre qui le fonde, le principe commun d’intelligibilité autour duquel chaque monde s’organise, ce qui y fait lien et comment. Afin d’en comprendre les implications majeures, nous proposons une façon nouvelle de chercher dans le monde des data quelque chose qui lui serait propre et en même temps permettrait de le comparer au monde du probable dans les lézardes duquel il s’est engouffré pour mieux s’en libérer.
Bibliographic reference |
Deprins, Dominique. Le Gouvernement des hommes par la donnée.Cycle de conférences 2016-2017 de l’UDA (Université des Aînés) (UCL, Louvain-la Neuve, Belgique, 28/03/2017). |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/188897 |