Merla, Laura
[UCL]
Degavre, Florence
[UCL]
Abstract La « défamilialisation » désigne l’externalisation par les familles des tâches de care, qui favorise la liberté et l’indépendance économique des femmes dans les pays occidentaux. Le paradoxe est que les travailleuses migrantes qui assurent ces tâches continuent de prendre en charge leur famille à distance mais ne peuvent compter sur ce type d’aide ni dans leur pays d’origine ni dans leur pays d’accueil, faute d’adaptation des politiques publiques à la circulation du care transnational. Introduction Le care – terme anglo-saxon généralement employé pour désigner le travail de reproduction sociale- doit sa première théorisation aux travaux féministes des années 1960 et 1970. Sa visibilisation au sein d’un système patriarcal plus large, la mise en évidence de sa gratuité comme caractéristique principale (Delphy 2001) et les conditions historiques dans lesquelles les femmes y furent assignées dans le cadre de leurs tâches domestiques ou de soin constituent les problématiques sur lesquelles les women studies furent fondées. La démonstration que cette assignation des femmes au care prend sa source dans un système (le patriarcat) et non dans une sollicitude naturelle (et donc irrévocable) a par la suite motivé l’étude approfondie des facteurs politiques qui permettraient de s’en émanciper. Le rôle de l’État, pris comme ensemble de politiques sociales et de droits, a d’abord fait l’objet de méfiance pour son action pro-systémique, avant d’être perçu, grâce notamment aux travaux des féministes scandinaves, comme un acteur moteur dans l’accès à l’indépendance économique et à la libération des charges domestiques des femmes (Lewis 1997, Kröger 2009 :9). L’action libératrice de l’État fut jaugée, dans les travaux féministes, à sa capacité à partager, avec les femmes, les responsabilités du care et à le rendre moins entravant, par exemple, en mettant en place des services sociaux qui rendent les mères plus disponibles pour l’emploi rémunéré. C’est donc à travers leur degré plus ou moins élevé de « défamilialisation » (Lister 1994 ; 2003 ; Bambra 2007) que les Etats se distinguent Ce concept cible « le degré auquel des individus adultes peuvent soutenir un standard de vie socialement acceptable, indépendamment des liens familiaux, soit à travers le travail rémunéré soit à travers les transferts sociaux » (Lister 1994, 32), et plus spécifiquement, « le point auquel un État social permet aux femmes de survivre en tant que travailleuses indépendantes et diminue l’importance économique de la famille dans la vie des femmes » (Bambra 2007 : 327). Si l’on suit l’esprit qui a prévalu à la naissance du concept, un meilleur accès des femmes à la fois au travail rémunéré et aux services (ou transferts sociaux) de care témoignent de niveaux élevés de défamilialisation, ce qui passe, comme le suggère Esping-Andersen (1999), par la prise en charge du bien-être des familles et des responsabilités de care par les prestations assurées par l’État (Welfare provision) et/ou par le marché (market provision). En revanche, des niveaux bas, voire nuls, caractérisent les politiques sociales qui encouragent de fait les femmes à renoncer au travail rémunéré pour faire du care, sans contrepartie en transferts financiers Le concept de défamilialisation et les travaux d’analyse des politiques qui y ont trait font preuve néanmoins d’une certaine cécité à l’égard de l’importance grandissante de la migration féminine « en lien avec le care » et intègrent peu l’interconnexion entre ce phénomène et la réalité contemporaine des politiques de care en Europe. Si les travailleuses migrantes constituent souvent la main-d’oeuvre qui rend possible un certain niveau de défamilialisation en Europe, la question de leurs propres besoins de défamilialisation et celle de leur accès aux dispositifs qui la rendent possible ne sont que très rarement posées Cet article évoque d’abord brièvement le contexte des politiques sociales influençant l’exercice du care et du travail domestique des femmes migrantes ainsi que leurs propres responsabilités et pratiques de care envers les membres de leur famille résidant dans leur pays d’origine. Nous discuterons ensuite le paradoxe qui résulte de la non prise en compte de ces responsabilités familiales transnationales par les pouvoirs publics et par les théoricien-nes de la défamilialisation
Bibliographic reference |
Merla, Laura ; Degavre, Florence. Le concept de défamilialisation à l'épreuve du care transnational. L'exclusion des travailleuses migrantes domestiques des politiques de care. . In: Informations Sociales, Vol. 194, no.194, p. 1 (2016) |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/183810 |