Delforge, Catherine
[UCL]
Une recherche orientée sur la spécificité des contrats à long terme invite à considérer le contrat à l'aune d'une composante décisive de la réalité vécue par les contractants : le temps. La thèse prend appui sur une compréhension particulière du temps - soit un temps psychologique et relationnel (soit une durée au sens où l'entendait Bergson) plutôt que physique (que privilégie largement le Code civil et l'image classique du contrat) - qu'elle prétend confronter aux manifestations qu'en retient le droit et à la traduction qu'en proposent l'économie et la sociologie. La comparaison est aussi directement celle des contenus réservés par ces disciplines à un même concept, afin de mieux apprécier sur quelles bases pourrait se construire un régime juridique adapté à la réalité des contrats à long terme. La première partie de la thèse envisage concrètement comment le droit prend en compte l'influence de la durée sur la relation contractuelle. Deux dimensions paraissent à cet égard significatives: la gestion du temps et de ses aléas (dimension temporelle) et le rôle de la durée sur la situation des parties et la relation qu'elles ont nouées (dimension relationnelle). Sous ces angles, la notion de contrat à long terme applique au traitement du contrat une grille de lecture réaliste qui investit les contractants de leur propre temporalité et donne sens à leurs actions et interactions avec autrui et le monde qui les entoure. S'agissant de la gestion par les parties de la temporalité de la relation, le droit adopte une position de spectateur et d'accompagnateur. S'il valide le plus souvent les clauses destinées à assurer la gestion du temps (et de ses incertitudes), il se refuse en effet le plus souvent d'intervenir activement dans ce que la volonté commune a érigé (convention-loi, sécurité juridique). L'illustre en particulier le rejet de la théorie de l'imprévision. Cette partie étudie successivement : le processus de naissance et de disparition du contrat à long terme et l'évolutivité qui marque son exécution. Sur ce dernier point, trois problématiques juridiques sont plus particulièrement étudiées : l'interprétation du contrat, la détermination de son contenu et son adaptation aux circonstances nouvelles non prévues au moment de l'échange initial des consentements. S'agissant de la dimension relationnelle, le droit admet que la durée précise, aménage, voire accentue les attentes respectives de ceux qu'elle concerne. Il reconnaît également que cette durée contribue à forger la coopération, favorisant un plus grand intéressement à la situation de l'autre. C'est, sous cet angle, principalement à travers le prisme de la bonne foi et de la sanction de l'abus de droit que s'illustre la réception de cette dimension. Abordant successivement les phases de formation, d'exécution et de terminaison du contrat à long terme, la thèse en pointe les indices. La seconde partie de la thèse invite à dépasser l'image qu'offre le traitement juridique du contrat à long terme et à préciser sa réalité. La démarche prend appui sur l'économie, la sociologie et la psychologie. Une telle ouverture est l'occasion de rappeler que le contrat n'est pas uniquement un acte juridique, mais est aussi un instrument économique d'échange que choisissent des sujets socialement situés. Ces autres disciplines attestent que le contrat à long terme, comme tout contrat, réalise la synthèse entre trois dimensions essentielles. Il constitue d'abord une structure contractuelle particulière qui est choisie afin d'atteindre un objectif économique qui oriente l'action des cocontractants, dimension qui souligne l'importance que revêt, pour les parties, l'utilité économique du contrat et de sa durée. Il se réalise, ensuite, à travers une relation interpersonnelle basée sur la confiance et qui met en oeuvre des jeux coopératifs répondant à une rationalité stratégique, mais aussi à une prédisposition naturelle des sujets. Il est enfin un acte socialement situé et qui, à ce titre, ne peut se détacher des cadres normatifs qui le dépassent. Chacune de ses dimensions est significative pour une compréhension plus globale du droit des contrats. Et c'est ce que tend à montrer cette seconde partie de la thèse: - la dimension économique conforte la pertinence d'une prise en compte de l'utilité individuelle du contrat et de sa durée, critère qui, à notre estime, doit demeurer central dans toute intervention législative ou jurisprudentielle. A cet égard, l'économie permet d'insister également sur la centralité d'une compréhension du temps qui intègre la part d'incertitude que ce dernier enveloppe; - la dimension interpersonnelle précise la fonction essentielle que joue la confiance dans la satisfaction des échanges et explicite la dynamique coopérative de l'exécution tout en la détachant d'une compréhension utopiste qui n'y verrait qu'un comportement désintéressé; - la dimension "sociale" rappelle, sur le plan de la compréhension du phénomène, que le contrat ne peut se satisfaire de l'explication économique articulée autour de l'idée d'un homo oeconomicus naturellement calculateur et soucieux de satisfaire ses seuls besoins égoïstes. Elle invite à restituer l'idéal d'un contrat-relation où redeviennent pertinentes les notions de durée relationnelle et de confiance, mais aussi de réciprocité; Suivent, enfin, les conclusions générales qui soulignent le contraste entre le contrat classique du Code civil (un contrat-échange, ponctuel, impersonnel, et un temps largement physique, un temps de l'instant) et la réalité des contrats, en particulier ceux qui sont inscrits dans la durée. La thèse tend surtout à convaincre qu'une autre compréhension du temps permet de poser un regard neuf sur la matière. Car comprendre autrement le temps, c'est changer le regard posé sur le contrat - en faisant, en particulier, émerger la relation - et admettre l'imperfection dont il est empreint.
Bibliographic reference |
Delforge, Catherine. La spécificité des contrats à long terme entre firmes. Prom. : Wéry, Patrick ; Fontaine, Marcel |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/158051 |