Autenne, Alexia
[UCL]
La thèse que nous avons voulu défendre dans notre recherche doctorale est que, dans le domaine de l'actionnariat salarié, la production d'une gouvernance efficiente appelle l'instauration de dispositifs institutionnels spécifiques, organisant la coopération entre les diverses parties intéressées (les salariés, les dirigeants, les actionnaires). Nous avons montré que les solutions aujourd'hui proposées par la littérature dominante pour aménager l'actionnariat salarié restent rivées à une conception trop restreinte de cette exigence coopérative, car elles sont fondées sur une approche de l'entreprise et de sa gouvernance - l'approche contractualiste - qui est en défaut de prendre en compte la nécessité de renforcer les dispositifs institutionnels incitant les acteurs à adopter des stratégies coopératives. Selon cette approche contractualiste, en effet, l'arrangement qui maximise l'efficience de l'entreprise consiste à organiser la gouvernance par référence aux intérêts des seuls actionnaires, l'actionnariat salarié se réduisant alors à un mécanisme incitatif de nature contractuelle destiné à aligner les intérêts du personnel sur ceux des actionnaires, mis en position de créanciers résiduels. Notre travail a permis de mettre en lumière le caractère réducteur d'une telle approche. Il comporte deux niveaux distincts, mais solidaires : un niveau 'empirique' et un niveau théorique. D'un point de vue empirique, nous avons étudié de manière approfondie, dans une perspective comparative, le régime juridique de l'actionnariat salarié en droit américain et français. L'objectif de cette analyse empirique est triple. D'abord, nous avons montré que le modèle de gouvernance des plans d'actionnariat salarié privilégié par le droit américain est un modèle de type 'shareholder', c'est-à-dire tourné vers la valorisation des intérêts des actionnaires et fondé sur une logique individuelle et financière. Il attribue à un organe unique le 'trustee'- le soin de déterminer, sous le contrôle du juge, quelle est la solution qui maximise l'intérêt collectif et abstrait des parties concernées, celui-ci étant réduit à une dimension exclusivement monétaire (évaluable en argent). Ce modèle repose sur une représentation théorique qui, aujourd'hui, domine la plupart de la littérature juridique contemporaine sur la 'corporate governance' et qui est celle de la firme comme 'nexus of contracts'. Sans rentrer dans son analyse, relevons seulement qu'en justifiant que la 'corporate governance' ne s'organise que par la seule référence aux intérêts des actionnaires, cette représentation conçoit l'actionnariat salarié comme un mécanisme contractuel à caractère incitatif. En cela, elle n'envisage pas la possibilité d'instaurer des dispositifs institutionnels organisant une coopération entre les différents acteurs concernés dans le but d'assurer la réalisation la plus efficiente possible de l'objectif recherché qui est d'accroître les performances des entreprises. Ensuite, au travers de la jurisprudence, nous avons identifié certains dysfonctionnements du dispositif américain ; ceux-ci ayant trait, pour la plupart, à la possible instrumentalisation des plans d'actionnariat salarié par les dirigeants. Enfin, nous nous sommes demandés si ces dysfonctionnements identifiés ne faisaient pas apparaître la nécessité d'une modification du modèle 'actionnarial' de gouvernance. Face à la pluralité des intérêts qui composent l'actionnariat salarié, les problèmes liés à leur articulation ne pourraient-ils pas être appréhendés de manière plus efficiente en organisant un dispositif partenarial mettant en présence discursive toutes les parties intéressées ? Nous avons alors effectué une étude approfondie du droit français de l'actionnariat salarié, car celui-ci constitue un champ où s'expérimentent de façon sensible des dispositifs plus 'partenariaux' de gouvernance de l'actionnariat salarié (les partenaires sociaux et les représentants des travailleurs-actionnaires sont impliqués dans l'organisation et la gestion des plans d'actionnariat). En révélant l'émergence d'une évolution coopérative de la gouvernance de l'actionnariat salarié, le droit français donne implicitement à voir un modèle de gouvernance de l'actionnariat salarié dans lequel la détermination de l'intérêt collectif passe, non par un renvoi au juge, mais par la reconstruction de procédures délibératives permettant aux divers intérêts de s'exprimer. D'un point de vue théorique, nous avons reconstruit le modèle qui, aujourd'hui, soutient la conception dominante en matière d'actionnariat salarié. Ce modèle, qui est celui de la firme comme 'nexus of contracts', fait de la souveraineté actionnariale la variable pivot de la gouvernance et assimile l'actionnariat salarié à un contrat incitant les travailleurs à accroître la valeur financière de leur entreprise. Nous avons montré que la manière dont le modèle contractualiste définit les conditions d'une gouvernance efficiente est affectée d'une insuffisance qui conduit celui-ci à sous-estimer l'importance des dispositifs institutionnels incitants les acteurs à adopter des stratégies coopératives. Nous avons alors tenté d'approfondir notre critique du modèle contractualiste en convoquant trois approches théoriques qui invitent à dépasser la conception de l'efficience et par là, de la gouvernance mobilisée par ce modèle : la théorie des coûts de transaction d'Oliver Williamson, l'approche néo-institutionnaliste de Douglass North et l'approche comparativiste en terme de 'path dependency' de Mark Roe. L'enjeu a été de montrer que, prises successivement et en suite logique, ces approches ouvrent une voie théorique susceptible de rendre compte de la nécessité de renforcer les dispositifs institutionnels visant à inciter les acteurs à s'engager dans la coopération négociée de normes communes pour réaliser l'objectif visé - qui est d'améliorer l'efficience des entreprises dans un environnement globalisé.
Bibliographic reference |
Autenne, Alexia. Analyse économique du droit de l'actionnariat salarié : apports et limites des approches contractualiste, néo-institutionnaliste et comparativiste de la gouvernance d'entreprise (La présente thèse, défendue en 2004, a été publiée en 2005 aux éditions Bruylant et L.G.D.J. (ISBN 2802720384) : voir relations /. Prom. : Horsmans, Guy ; Lenoble, Jacques |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/158037 |