Langohr, Charlotte
[UCL]
L'objet des recherches doctorales s'inscrit au sein des discussions et controverses qui concernent l'épineuse problématique de la « Crète Mycénienne », à partir de la deuxième moitié du 15e s. av. J.-C., autrement dit, les phases céramiques des Minoen Récent II-IIIB (MR II-IIIB). Celles-ci concernent l'histoire de l'île après la destruction générale, vers 1450 av. J.-C., de la majorité des sites de la civilisation minoenne néo-palatiale et la disparition de ses palais à l'exception notable du palais de Knossos. L'étude de cette période pose par ailleurs la question des relations complexes et anciennes entre l'île et le continent grec où se sont développées les sociétés mycéniennes. Les recherches se sont articulées autour de deux sphères majeures et connexes : 1) La première constitue une approche contextuelle de la Crète aux MR II-IIIB, basée sur une description analytique approfondie des données archéologiques collectées. L'objectif était de proposer, dans l'état actuel et global des connaissances archéologiques relatives à cette période de la fin du Bronze Récent en Crète, des éléments de réponse au problème posé, qui a été formulé selon trois angles d'approche : celui de la « mycénisation » de la société crétoise prise dans son ensemble, celui de la domination économique, politique et culturelle de celle-ci à partir du centre puissant que représente Knossos et celui de la place pour une appréciation simultanée du « centre » (Knossos) et de la « périphérie » (les régions crétoises). 2) La seconde consiste en une étude régionale de la Crète orientale, comprenant une analyse particulière du site de Palaikastro. Cette approche régionale partait du postulat que des dimensions de variation sont identifiables au sein du contexte général de la Crète aux MR II-IIIB. Cette région a souvent été considérée comme une entité qui se démarque du reste de la Crète au cours de cette période. Ces variations, dont a pu prévaloir certaines fractions de la société crétoise en particulier, pourraient éclairer d'une manière neuve la problématique globale de la « Crète mycénienne » et la plus large question de la formation de l'identité dans des contextes multiculturels. Résultats 1) La synthèse originale de la société crétoise aux MR II-IIIB proposée a tenté de définir la reconstruction archéologique la plus plausible, à la lumière des fouilles, recherches et débats les plus récents. Par une analyse régionale et intégrée des données archéologiques relatives à toutes les régions de Crète aux MR II-IIIB (habitat, tombes, mobilier archéologique), la synthèse interprétative réalisée nuance l'idée d'une société crétoise sous la tutelle d'un pouvoir mycénien tout au long de la période de 250 ans considérée. Ainsi, on a exemplifié en quoi la présence, inutilement réfutable, de groupes originaires du continent grec en Crète au cours de chacune des phases des MR II-IIIB nécessitait d'être évaluée parallèlement aux particularités du corpus archéologique requérant d'être considérées autrement que comme des marqueurs ethniques ou culturels fixes. De cette manière, ce travail a relevé à plusieurs reprises qu'envisager les nouveautés et les développements de la société crétoise aux MR II-IIIB en termes d'une réception indigène, d'une perception mise en contexte, permet de nuancer l'expression jugée a priori récurrente et indissociée de typologies fixes. En outre, la prise en compte de l'existence d'une convergence virtuelle entre les cultures matérielles crétoise et du continent grec phénomène sans aucun doute antérieur à la destruction de la civilisation minoenne néo-palatiale permet de reconsidérer le problème dans une perspective non seulement diachronique mais aussi libérée du canal knossien. Cette approche particulière de l'introduction d'éléments externes au sein de la société crétoise a permis d'approfondir les trois pans de la question posée. Notamment, en ce qui concerne le troisième pan de la question, celui de la définition de la « périphérie » ou des régions crétoises et de leurs interactions avec le « centre » de Knossos, on a montré comment et dans quelles mesures l'identité culturelle et l'intégration sociale se définissaient simultanément au niveau régional, où elles sont tributaires de traditions locales, parfois en continuité avec le passé. Ainsi, on a envisagé la possibilité que des groupes régionaux, assez rapidement relevés des catastrophes survenues à la fin du MR IB, se soient empressés d'exploiter cette dépendance au moins culturelle et idéologique face à ces nouvelles instances dominantes knossiennes pour légitimer un pouvoir local ou régional, tout en luttant pour maintenir une certaine autonomie vis-à-vis des élites de Knossos. En définitive, le résultat principal de cette étude de la société crétoise est la mise en exergue et la définition des relations entre le « centre » de Knossos et la « périphérie » des régions crétoises en termes de relations créatives et dialectiques. 2) En ce qui concerne la Crète orientale, la synthèse originale des données archéologiques relatives aux MR II-IIIB a permis d'expliquer en quoi les communautés qui y vivaient ont adopté des modes de vie distincts de ceux observés dans les autres régions de l'île au cours de ces 250 ans. La définition de ces particularités se comprend dans un passé local spécifique mais aussi dans le contexte crétois et égéen contemporain. En effet, s'appuyant sur une étude préliminaire des modes de production, de consommation et de distribution de la céramique en Crète orientale, cette prospection régionale a mis en évidence des traditions caractéristiques et communes aux communautés de cette région. La confirmation de la spécificité culturelle de celle-ci ne va toutefois pas de pair avec son prétendu isolement vis-à-vis des autres régions crétoises et des régions extérieures à l'île. L'analyse proposée a suggéré de considérer différentes échelles géographiques au niveau desquelles les communautés de cette région ont diversement interagi, dans des cadres par ailleurs différenciés, qu'ils soient de nature économique, socioculturelle ou idéologique. Un des apports principaux de cette analyse régionale sous l'angle diachronique est la reconnaissance d'une continuité et d'une évolution locales et régionales qui transcendent la période transitoire et troublée MR IB/II mais aussi les perturbations qu'a pu provoquer la disparition de l'établissement prédominant de Knossos sur l'échiquier sociopolitique de la Crète au cours du MR IIIA2. On a proposé de reconnaître la mise en place progressive de petites entités sociopolitiques et socio-économiques autonomes en Crète orientale, souvent articulées autour d'un centre plus important orienté vers la mer. Toutefois, on a soutenu l'idée que ces entités étaient simultanément connectées entre elles : les interactions qui définissent ces entités concernent foncièrement l'intégration socioculturelle et celle-ci semble précisément se négocier à l'échelle de cette région telle qu'elle a été géographiquement définie. Ainsi, la communauté des modes de consommation de céramique que partageait vraisemblablement un nombre important de communautés installées dans la zone géographique située à l'est des Hautes Montagnes de Sitia semble avoir participer à la formation d'une identité régionale. Celle-ci constituerait les fondements socioculturels d'un réseau d'intégration définissant la Crète orientale en tant que région.
Bibliographic reference |
Langohr, Charlotte. Des Etéocrétois à l'Âge du Bronze dans la Péninsule de Sitia : étude régionale et archéologique comparative de la Crète aux Minoen Récent II-IIIB / Eteocretans during the Bronze Age in the Sitia Peninsula : regional and archaeological comparative study of Crete in the Late Minoan II-IIIB Period. Prom. : Driessen, Jan |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/149869 |