Richir, Alice
[UCL]
Nous deux ne consiste pas seulement en le récit de la relation aliénante d’une mère avec son enfant et de la dégénérescence du corps de la figure maternelle. Dans ce texte, Nicole Malinconi déploie une série de procédés poétiques capables d’élaborer une représentation de la parole de la mère en tant que discours qui aspire à déjouer l’impossible congruence du langage au réel. D’une part, les mots de la mère tendent vers le statut d’objet, en vertu d’une certaine plasticité qui ferait d’eux de purs signifiants (« les mots sortent de la bouche de ma mère comme des objets » p. 13) ; d’autre part, ils s’efforcent de coller au plus près des choses du monde et du corps, pour en « montrer » les failles, les blessures, les maladies et les fonctions vitales. Il s’agira d’étudier les implications de cette logique discursive qui confond les mots aux maux sur le couple mère-fille, en démontrant que la dynamique d’« engluement » (Lebrun) qui lie étroitement ces personnages prive l’enfant de toute possibilité d’appropriation personnelle de la chaîne signifiante. Pris dans un discours maternel qui ne laisse aucune place à l’altérité, l’enfant s’avère dénué d’une parole qui lui soit véritablement propre : le corps-à-corps avec la mère empêche le sujet humain de pénétrer dans le monde des mots (Lebrun). Seule la mise en scène de la décrépitude de la mère et in fine sa disparition, parce qu’elles ont respectivement pour effet de renverser le rapport d’autorité mère-fille et de séparer irrémédiablement ce couple en deux entités distinctes, permet à l’enfant d’advenir de manière autonome dans le langage, rendant de la sorte possible le récit. Toute artificielle qu’elle soit (Zenoni), la dichotomie corps vivant / corps parlant vient ainsi révéler le mouvement concomitant de l’écriture de Nous deux : ce n’est que lorsque la mère se met à manquer, c’est-à-dire qu’elle assume – malgré elle – son défaut signifiant, que l’enfant peut apparaître dans le récit en tant que sujet de l’énonciation (comme en atteste alors l’émergence du « je » de l’instance narrative) et, en même temps, c’est l’acte même de raconter, autrement dit de restituer la singularité du discours de la mère (par le biais de stratégies qui miment l’apparence de son parler populaire par exemple), qui autorise ce « désengluement ».
Bibliographic reference |
Richir, Alice. Les maux / mots du corps : poétique du "désengluement" dans Nous deux de Nicole Malinconi.Corps parlant, corps vivant : réponses littéraires et théâtrales aux mutations contemporaines du corps (Université de Louvain, Louvain-la-Neuve (Belgique), du 15/05/2014 au 17/05/2014). |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/139538 |