Decoene, Aurélie
[ULB]
Dufresne, Anne
[UCL]
Faniel, Jean
[CRISP]
Gobin, Corinne
[ULB]
Ce chapitre consiste à explorer une remise en cause qui peut paraître paradoxale. En effet, le recours à la grève est un élément constitutif du système des relations collectives de travail et, plus largement, du fonctionnement d’une société démocratique. Il participe à la construction des rapports entre acteurs sociaux et à l’établissement de rapports de force collectifs. Son utilisation est non seulement reconnue mais également garantie par plusieurs textes légaux internationaux. Pourtant, le recours à la grève est régulièrement dénoncé publiquement. Nous pensons qu’aujourd’hui, cette dénonciation tend en outre à s’élargir en trouvant un écho plus marqué auprès des salariés. En effet, alors que depuis la fin de la guerre on considérait le travail comme lieu collectif où s’exerce une confrontation d’intérêts entre salariés et employeurs, les représentations dominantes dans l’ensemble des relations socio-économiques – de l’international au local – présentent désormais le travail comme espace de marché où s’échangent et s’articulent des aptitudes individuelles. Le paradigme dominant du libéralisme économique présente le travail – et au-delà, tout rapport social – comme un espace de choix et d’expression de la liberté individuelle. Une nouvelle définition de la citoyenneté pointe dès lors. Non plus une citoyenneté construite autour de l’égalité comme valeur-pivot. Cela nécessite, au sein d’un système de production capitaliste encastré dans un système politique démocratique, une intervention publique permanente pour réduire les écarts de richesse. Mais une citoyenneté que l’on tente de fonder sur les « libertés de marché » : libertés individuelles de consommer, de circuler, de travailler, ...
La première partie de ce chapitre mobilisera les éléments explicatifs qui font de la grève une pratique non seulement légitime mais indispensable dans une société démocratique. Cet exercice analytique repose sur un postulat de base de la sociologie générale : le travail est un fait social, donc avant toute chose un rapport collectif. C’est pourquoi nous montrerons que les deux grands acteurs collectifs que sont les syndicats et les pouvoirs publics, bien qu’ils se soient faits les garants, au cours de l’histoire, de la pratique de la grève, n’ont pas pour autant apporté à la grève un soutien dénué de toute ambiguïté car ils sont traversés par des logiques sociales contradictoires. Cette ambiguïté structurelle favorise l’emprise de plus en plus grande du rejet de la grève. La deuxième partie présentera le travail politique actuel de délégitimation et/ou de limitation du recours à la grève à travers des pratiques du patronat, des pouvoirs publics ou des médias. Un bref retour dans l’histoire sociale belge permettra de bien comprendre l’antagonisme radical qui existe entre libéralisme économique et consécration du droit de grève comme droit démocratique fondamental.
Bibliographic reference |
Decoene, Aurélie ; Dufresne, Anne ; Faniel, Jean ; Gobin, Corinne. Le droit de grève: un droit fondamental remis fondamentalement en cause. In: Actualités du dialogue social et du droit de grève - Actes de la Journée d'études organisée à la Faculté du droit de l'UCL le 3 octobre 2008, en hommage au Professeur Marcel Bourlard, Kluwer : Bruxelles 2009, p.43-66 |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078/104515 |