Faymonville, Robin
[UCL]
Leclercq, Jean
[UCL]
A l’heure de l’extension effective du mode de production capitaliste à l’échelle planétaire, les artistes contemporains sont immanquablement amenés à se positionner quant à la question du rapport entre la marchandise et l’œuvre d’art. Et s’il y a bien un concept-problème qui offre les possibilités de penser ce rapport, c’est bien celui de fétichisme de la marchandise formulé par Marx. Plutôt que de se confronter exclusivement au concept marxien, ce mémoire entend revenir sur ce concept de fétichisme tel qu’il fut repris et amplifié par la théorie du spectacle proposée par Guy Debord. A travers une généalogie conceptuelle de ce concept polymorphe, le but de ce travail est de sonder les différentes stratégies construites par Debord et l’Internationale situationniste en vue de dépasser ou de court-circuiter cette problématique du fétichisme de la marchandise à laquelle ils donnent le nom de « spectacle ». Dans un premier temps, les situationnistes tentèrent de dissoudre le problème du fétichisme dans le domaine particulier qu’est le monde de l’art. Cependant, nous verrons qu’au nom d’une conception d’inspiration hégélienne de la fin de l’art, les situationnistes abandonneront le projet de dé-fétichiser l’art en vue d’embrasser le projet révolutionnaire global de dé-fétichiser la vie quotidienne dans son ensemble. Malgré l’échec de leurs tentatives, sur lequel nous reviendrons, il s’avère qu’un point commun remarquable des différentes stratégies construites par les situationnistes est celui de la valorisation de la valeur d’usage. Cette mise en avant de la valeur d’usage, impliquant la préséance de l’expérience sur la représentation, de la pratique sur la théorie, ouvre une voie nouvelle pour l’esthétique, qui trouve là les outils pour penser une nouvelle conception de l’œuvre d’art, se fondant sur l’expérience subjective en dépit du traditionnel objet d’art. L’intuition situationniste de mettre la valeur d’usage au centre des préoccupations esthétiques trouve un profond écho chez le critique d’art et théoricien français, Nicolas Bourriaud. En ne refusant pas frontalement l’objet d’art en tant que tel qu’il considère comme un « support d’expérience », ce dernier reconfigure l’héritage situationniste en regard des conditions actuelles de production de l’art contemporain et du mode de réception qui s’y rattache. Ce travail propose ainsi un parcours singulier permettant de cerner l’une des tensions fondamentales qui animent l’art depuis le XXème siècle, identifiée par Walter Benjamin comme opposant ce qu’il apparaît « l’esthétisation de la politique » et la « politisation de l’art ». Le fil conducteur qui nous mènera d’un point à l’autre de ce raisonnement se trouvera dans le concept de « détournement ». De manière assez simple, nous pouvons définir le détournement comme l’action consistant à intervenir sur un élément culturel existant en vue d’en transformer sa signification – ainsi, les situationnistes pratiquèrent abondamment le détournement de publicités, de comics, de films de série B, de traités théoriques, etc. Il est considéré comme une opération de dévalorisation/revalorisation qui fait de la culture un vaste réservoir d’éléments préfabriqués susceptibles à l’appropriation. D’après notre analyse, le concept de détournement se présente comme le principe fondateur de l’ensemble de la praxis situationniste. De toutes les stratégies inventées (dérive urbaine, construction de situations, urbanisme unitaire), le détournement est la stratégie la plus fondamentale. Or, notre hypothèse est que le détournement n’est compréhensible dans un premier temps qu’à la lueur du concept de spectacle qu’il entend court-circuiter, bien qu’historiquement la pratique du détournement précède d’une quinzaine d’années la théorie du spectacle. Notre thèse est qu’il s’agit désormais de défendre une théorie esthétique contemporaine du détournement qui puisse se passer du concept de spectacle en tant que totalité effectivement réalisée. C’est en effet ce concept, qui comme nous le montrerons, est en dernière instance à l’origine de l’échec des tentatives situationnistes de dé-fétichiser la vie quotidienne.


Bibliographic reference |
Faymonville, Robin. La fin du spectacle. Théorie du détournement et esthétique contemporaine. Faculté de philosophie, arts et lettres, Université catholique de Louvain, 2019. Prom. : Leclercq, Jean. |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:21441 |