La judiciarisation du politique est-elle en marche ? Axée sur les droits fondamentaux subjectifs, constitue-t-elle un tournant individualiste dans nos démocraties ?

Nous vivons une ère marquée par la saisine récurrente des cours et tribunaux dans des affaires à haute teneur politique, dans lesquelles les droits humains sont mobilisés par les mouvements sociaux en vue de faire avancer des causes collectives. En analysant le phénomène à la lumière de la théorie des systèmes et à l’aune de la théorie de l’action, nous interrogeons le modèle démocratique contemporain : serions-nous en train de vivre une transformation profonde de la démocratie, marquée à la fois par une reconfiguration des rapports entre le droit et la politique dans un mouvement de différenciation affinée des systèmes, et à la fois par un changement dans la perception-même du droit et de ses usages stratégiques ? Le cas colombien, symptomatique des changements en cours, représente un fabuleux laboratoire d'observation des capacités réformatrices de la justice à grande échelle, ainsi que de la dynamique politique dans l’action des juges. Si la judiciarisation du politique emporte son lot de vices, il nous semble qu’un cadrage, notamment constitutionnel, des pratiques judiciaires peut aider à renforcer les avancées de démocratie et de justice qu’elle promet. Certains dénoncent l’avènement d’une démocratie individualisante, centrée sur les droits fondamentaux individuels au détriment du projet politique collectif. Nous décelons plutôt la multiplication de plateformes d’expression citoyenne, d’espaces publics de dialogue entre la société civile et le monde politique. Surtout, nous espérons voir dans la judiciarisation un tournant plus inclusif, plus attentif aux minorités, plus collectif de nos démocraties qui n’ont jamais fini de se développer.