Delahaut, Paul
[UCL]
Lesch, Walter
[UCL]
La démocratie à l’épreuve de l’urgence et de l’impatience A bien considérer, la démocratie est un système de gouvernement qui tire sa légitimité de la recherche du moindre mal. Avec ce programme, elle métabolise les peurs et les envies des gouvernés en s’efforçant par cette métabolisation d’empêcher que le peuple ne reprenne sa liberté primordiale et ne renverse le Souverain qu’il a institué. La démocratie représentative et délibérative des pères du libéralisme philosophique ne serait plus compatible aujourd’hui avec l’urgence de la situation ni avec l’impatience des ayants-droits. Elle serait trop lente à réagir face aux crises et dans la gestion du risque. La pandémie de la Covid-19 ne dément pas cette affirmation, au contraire. Ce n’est pas seulement une affaire d’opinion publique. Des juges se sont ainsi emparés de l’urgence climatique pour affaiblir l’autorité de l’Etat allant jusqu’à le sanctionner pour son « abstention coupable d’agir ». Les populismes de toute sorte réclament avec impatience des têtes. Est-ce en raison de son mode de fonctionnement lent et enclin à la palabre, aujourd’hui dépassé par l’accélération du temps et par la puissance de la technique dont l’homme a perdu la maitrise ? Ne serait-ce pas plutôt sa nature profonde de système de propriété publique la conduisant à l’orientation vers le présent, au mépris de la valeur du capital, qui aurait atteint sa limite après deux cents ans d’expérience démocratique ? Engagée dans cette métabolisation, la démocratie a prétendu, s’occuper de plus en plus des « jouissances privées » - le « pré carré » de l’individu raisonnable de Benjamin Constant- et se charger du bonheur du « peuple de détail », plutôt que de se contenter d’assurer le moindre mal. L’Etat ne s’est pas borné à être juste, mais s’est voulu « accoucheur du social » et garant du bonheur. La démocratie imaginée comme scène, lieu vide, système de réfutabilité perpétuelle, est devenue processus, mouvement historique. Ce messianisme, et le démo-despotisme qui l’accompagne, a été rendu possible par la « dégradation » de l’égalité de droit en égalitarisme et par l’empiètement des libertés positives sur l’espace que les libertés décrites comme « négatives » protégeaient. L’éthique procédurale de Habermas a, entre autres et paradoxalement, aussi permis à ce constructivisme (« social engineering ») de se développer en affirmant l’auto-fondement du droit tandis que, dans le même temps, le capitalisme de connivence à crédit permettait à l’Etat redistributeur d’asseoir la légitimité de son emprise de plus en plus étendue. Aujourd’hui les démocraties sont mises en cause par des formes de populisme diverses dont la plus aboutie est l’éco-populisme, car il est de moins en moins certain qu’elles soient en mesure de réaliser la promesse de bonheur qui a conduit l’Etat à prendre en charge « les jouissances privées ». Les populismes signent l’incapacité de la démocratie à métaboliser les peurs et envies d’aujourd’hui. Menacé de toutes parts, le Souverain n’a pas d’autre recours, depuis plusieurs années, que de créer de la monnaie et de se financer à crédit avec l’aide des banques centrales, dictateurs bienveillants, qui échappent à tout contrôle démocratique. Pour le faire impunément, il faut abolir la référence au temps. Il n’y a plus que le présent dans ce vaste schéma de Ponzi qu’est l’état démocratique moderne, et le sujet de droit est devenu un sujet libidinal, au mieux stoïque, sans passé ni avenir. L’itinéraire que l’on propose de parcourir en suivant ce fil conducteur, au départ de Benjamin Constant et au travers diverses figures et voix de la philosophie politique et morale qui se sont employées à « perfectionner », à approfondir ou à enrichir une démocratie in-appropriable, nous conduit à la conclusion que l’héritage des pères du libéralisme philosophique est sans doute perdu dans la quête d’un bonheur qui s’éloigne ! De naturellement lente, la démocratie représentative et délibérative est devenue immobile. Democracy in the face of urgency and impatience If we look at it carefully, democracy is a system of government that derives its legitimacy from the search for the lesser evil. With this program, it metabolizes the fears and desires of the governed, striving through this metabolization to prevent the people from regaining their primordial freedom and overthrowing the Sovereign they have instituted. The representative and deliberative democracy of the fathers of philosophical liberalism would no longer be compatible today with the urgency of the situation nor with the impatience of the many stakeholders. It would be too slow to react to crises and in managing risk. The Covid-19 pandemic does not contradict this statement, on the contrary. It is not just a matter of public opinion. Judges have seized on the climate emergency to weaken the authority of the state, even going so far as to punish it for its "culpable failure to act". Populisms of all kinds are impatiently calling for heads. Is it because of its slow and palaver-like mode of operation, now overtaken by the acceleration of time and the power of technology, which man has lost control of? Is it not rather its deep nature as a system of public property leading it to be oriented towards the present, in contempt of the value of capital, that has reached its limit after two hundred years of democratic experience? Engaged in this metabolization process, democracy has claimed to be increasingly concerned with the ‘jouissances privées’ (private enjoyment), the reserved domain of Benjamin Constant's reasonable individual, and to take responsibility for the happiness of the "people de detail”, rather than being satisfied with ensuring the lesser evil. The state did not limit itself to being just but wanted to be the "midwife of the social" and the guarantor of happiness. Democracy, imagined as a stage, an empty place, a system of perpetual refutability, became a process, a historical movement. This messianism, and the demo-despotism that accompanies it, was made possible by the “degradation” of legal equality into egalitarianism and by the encroachment of positive liberties on the space that the liberties described as 'negative' protected. The procedural ethics of Habermas, among other things, paradoxically also allowed this constructivism ("social engineering") to develop by affirming the self-foundation of law while, at the same time, the capitalism of connivance relying on credit allowed the redistributionist state to establish the legitimacy of its ever-expanding hold. Today, democracies are challenged by various forms of populism, the most successful of which is eco-populism, because it is less and less certain that they can fulfill the promise of happiness that led the state to take charge of "private enjoyment". Populism is a sign of democracy's inability to metabolize today's fears and desires. Threatened from all sides, the Sovereign has had no other recourse for several years than to create money and finance itself on credit with the help of central banks, benevolent dictators who escape all democratic control. To do this with impunity, the reference to time must be abolished. There is only the present time in this vast Ponzi scheme that is the modern democratic state, and the subject of rights has become a libidinal subject, at best stoic, without past or future. The itinerary that we propose to follow, starting with Benjamin Constant and going through various figures and voices of political and moral philosophy that have worked to 'perfect', deepen or enrich an in-appropriable democracy, leads us to the conclusion that the legacy of the fathers of philosophical liberalism is undoubtedly lost in the quest for a happiness that is slipping away! From being naturally slow, representative, and deliberative democracy has become immobile.


Bibliographic reference |
Delahaut, Paul. La démocratie à l'épreuve de l'urgence et de l'impatience. Faculté de philosophie, arts et lettres, Université catholique de Louvain, 2021. Prom. : Lesch, Walter. |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:29248 |