Vandenschrik, Valérie
[UCL]
Dock, Thierry
[UCL]
Cultiaux, John
[UCL]
La première partie se pose la question de savoir comment l’émergence d’outils de gestion du privé transforme les entreprises publiques en général et le monde hospitalier en particulier. La nouvelle gestion publique est apparue dans les années 1980 dans une logique d’efficience et d’efficacité des organisations. L’hôpital, qu’il soit public ou privé, répond à une triple mission publique de soins, de recherche et d’enseignement en respectant les principes du service public, à savoir la mutabilité, l’égalité, la qualité et la continuité (Azimi, 2011, Cueille, 2007). De par ses missions publiques, l’hôpital est considéré comme une entreprise publique et va être impacté par la nouvelle gestion publique. La nouvelle gestion publique impacte l’organisation des entreprises hospitalières par la mise en place de cinq principes d’organisation (Bezes & al, 2011) : • La séparation entre les activités de stratégie et de contrôle et les activités opérationnelles ; • La création d’unités autonomes ; • L’introduction de la concurrence entre les acteurs publics et privés ; • La transformation de la structure hiérarchique en renforçant les responsabilités et l’autonomie des différents échelons ; • L’introduction d’une logique de résultats en lieu et place d’une logique de moyens. La nouvelle gestion publique offre aussi bien des avantages que des inconvénients et des limites. En résumé, la nouvelle gestion publique permet la modernisation et le perfectionnement des entreprises publiques, l’introduction de marchés et de la notion de performance. La nouvelle gestion publique engendre une compétition qui devient source d’opportunité pour les salariés, d’enrichissement pour les groupes professionnels, d’augmentation de l’expertise des salariés au service de l’entreprise, etc. Les pratiques de contractualisation, de partenariat, de mobilité des personnels deviennent des pratiques usuelles dans les entreprises publiques. Ceci dit, la nouvelle gestion publique présente des limites à sa pratique. Les auteurs observent un ébranlement circonstanciel des fondamentaux des professionnels. Le secteur public cherche, à l’instar des entreprises privées, l’efficience à tout prix en oubliant les besoins de la société (Merrien, 1999). Or, la philosophie du privé n’est pas toujours compatible avec le secteur public. La nouvelle gestion publique amène une perte de centralité et de coordination nationale. L’introduction de la nouvelle gestion publique fait aussi face à différentes réactions de la part des acteurs des entreprises publiques. Les luttes partisanes, les enjeux de pouvoirs, les résistances individuelles ou collectives amènent toute une série de dysfonctionnements dans les pratiques de la nouvelle gestion publique. Les auteurs ont pu remarquer que l’introduction de la nouvelle gestion publique dans le monde hospitalier a provoqué des bouleversements dans l’organisation hospitalière (Cueille, 2007). En effet, l’auteur nous décrit : • Un mode d’organisation de l’activité renouvelé avec une tendance à l’externalisation des services supports, une ouverture de l’hôpital vers l’extérieur avec la création de réseaux de soins, une ouverture de l’hôpital vers l’interne avec un rapprochement du monde médical et du monde administratif ; • Une répartition des pouvoirs renouvelée aussi au travers du développement du pouvoir des managers, du partage élargi du pouvoir formel dans les hôpitaux et de la perspective de pouvoir partagé au niveau des filières ; • La circulation de l’information tant au niveau de sa production qu’au niveau de sa transmission. Les auteurs décrivent aussi le développement dans le milieu hospitalier de la contractualisation, de la délégation de gestion et des certifications et accréditations afin de répondre aux principes de la nouvelle gestion publique pour pouvoir atteindre le double objectif fixé de l’amélioration des soins et de la maitrise des dépenses. Le résultat de l’introduction de la nouvelle gestion publique au sein du milieu hospitalier est mitigé. Les objectifs recherchés sont en partie atteints. Il en demeure cependant que le milieu hospitalier reste centré sur lui-même, avec des dépenses qui restent hautes dans certains secteurs, une optimisation des ressources humaines imparfaite et une gestion hospitalière complexifiée par la préoccupation croissante de la population pour les vigilances sanitaires (Peljak, 2002). Le deuxième volet de ce travail s’interroge sur le caractère aliénant des nouvelles formes du travail dans le milieu hospitalier. Le concept de l’aliénation a évolué depuis les écrits de Marx. Les discours bienveillants de la classe supérieure sur l’égalité des chances, l’équité, les projets d’amélioration continue, de qualité ont tendance à camoufler l’aliénation des travailleurs de la société d’aujourd’hui. La nouvelle gestion publique amène de nouvelles formes d’organisation du travail. L’objectif est la maximisation des profits et la réduction des coûts. Le milieu hospitalier voit se développer en son sein le Lean management et le management de la qualité qui, tous deux, créent les conditions favorables à l’aliénation des salariés. Le Lean Management est une démarche positive pour les entreprises hospitalières et les salariés. Malheureusement, cette démarche se résume bien souvent à la diffusion des outils du Lean Management sans appliquer l’ensemble de la philosophie. Les salariés subissent alors ces nouveaux outils. Ils produisent plus de valeurs pour l’entreprise (aliénation objective) tout en mobilisant leur force physique et/ou intellectuelle pour répondre aux impératifs du Lean Management (aliénation subjective). Le management de la qualité représente un ensemble d’outils sociotechniques, d’amélioration continue, de maintenance préventive, de standardisation par l’écrit dont l’objectif est de contrôler la qualité de la production des biens et des services. Le contrôle de la qualité devient un outil de pression pour renforcer la productivité et la rentabilité de l’entreprise (de Gaulejac, 2005, cité dans Marchesnay, 2006). Le Management de la Qualité amène l’aliénation sociale, collective et culturelle définie par Dejours (2006) avec une destruction des solidarités et de l’esprit d’équipe jusqu’au déni de l’autre et de soi. Les conséquences pour les salariés sont positives pour ceux qui savent profiter des opportunités offertes par ces nouvelles formes de travail. Par contre, les nouvelles formes de management associées aux nouvelles formes d’organisation du travail intensifient l’effort des salariés et fragilise la position de chacun d’entre eux (Deranty, 2011). Cela se traduit au niveau du collectif par une diminution des liens de solidarité et une augmentation des comportements hostiles. Au niveau des salariés, l’analyse des conséquences peut se faire au niveau : • Des plaintes en augmentation sur le manque de dialogue, sur la solitude, sur la peur et la dureté des relations, sur le manque de reconnaissance, sur la perte de sens, sur la mauvaise organisation et sur les erreurs de management ; • Des pathologies émergentes en augmentation : suicide au travail, pathologies de surcharge (burn-out, karôshi, troubles musculo-squelettiques) et pathologies de harcèlement (syndrome dépressif, confusionnel, de persécution, psychosomatique). Face aux conséquences négatives de ces nouvelles formes d’organisation du travail, les salariés ont la double possibilité de réagir : • Les réactions défensives : mécanismes conscients et inconscients mis en œuvre par les salariés pour supporter et vivre du mieux qu’ils peuvent les nouvelles organisations du travail mises en place (de Gaulejac, 2010). Il peut s’agir du déni, qu’il soit collectif ou individuel, ou de la résignation. • Les mécanismes de dégagement : de Gaulejac (2010) les désigne comme des processus par lesquels le salarié va résister au système paradoxal qui s’impose à lui via l’échappatoire, via la simulation, via la demande de coaching ou encore via la transformation de l’intérieur ou la destruction du système. Les entreprises sont aujourd’hui prises dans un management paradoxal. D’une part, les entreprises sont amenées à mettre en place des outils de la nouvelle gestion publique qui promeut la liberté, l’initiative et la responsabilité. D’autre part, le culte de la performance et du progrès couplé à l’évolution des techniques de l’information et de la communication ont amenés de nombreuses possibilités de contrôle.


Bibliographic reference |
Vandenschrik, Valérie. La nouvelle gestion publique Partie I Comment l'émergence d'outils de gestion issus du privé transforme les entreprises publiques de manière générale et le monde hospitalier en particulier? Partie II Dans quelles mesures les nouvelles formes d’organisation du travail dans le milieu hospitalier ont un caractère aliénant sur le travail des salariés ?. Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et de communication, Université catholique de Louvain, 2021. Prom. : Dock, Thierry ; Cultiaux, John. |
Permanent URL |
http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:29165 |